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et les riches collections léguées à sa patrie par Thorvaldsen, galerie de tableaux, pierres gravées, vases grecs, marbres anciens et terres cuites, la bibliothèque du maître, ses esquisses, ses dessins et son humble mobilier conservé là comme une relique. Plusieurs ouvrages de sa première jeunesse sont aussi rassemblés dans les galeries du sous-sol. Enfin, au milieu de la cour, dont les parois sont ornées, comme les murs extérieurs, de peintures jaunes ou rouges sur un fond noir, une touffe épaisse et verdoyante de lierre s’étend un peu au-dessus du sol, contenue par une bordure de granit en forme de pierre sépulcrale. C’est la tombe de Thorvaldsen. Les cendres du statuaire reposent au milieu de ses œuvres, et son musée est en même temps son tombeau. Idée grandiose qui explique et justifie la décoration un peu funèbre de l’édifice.

Plus de soixante statues, quelques-unes de grandeur colossale, plus de deux cents bas-reliefs, grands ou petits, et une centaine de bustes ou d’hermès remplissent les corridors, les salles, les cabinets du musée. La plupart de ces compositions ne sont que des moulages, quelques-unes sont des marbres, originaux précieux ou copies exécutées sous les yeux du maître ; d’autres enfin sont représentées à la fois par le plâtre et le marbre. On en trouvera le catalogue complet dans le livre de M. Plon. La première impression, à la vue de cette œuvre immense, c’est l’étonnement. Mais on se rappelle qu’il y a là le travail incessant de quarante années et que Lysippe, au dire des historiens, a modelé quinze cents statues. Bientôt d’ailleurs la surprise fait place à un autre sentiment. A mesure que l’on avance au milieu de cette collection, ce n’est plus la fécondité de l’artiste qui étonne, mais la force, la vérité et l’élégance de ses créations. On reconnaît, à travers la variété des sujets, des conceptions et des formules, l’unité du style et quelque chose d’individuel qu’on n’a pas vu ailleurs. On est en présente d’une grande théorie esthétique réalisée, et, quelque opinion qu’il ait apportée là, aucun visiteur ne peut demeurer indifférent. Bon gré, mal gré, on salue l’empreinte irrésistible du génie, et l’on s’approche avec respect de ce lierre toujours vert, symbole de l’immortalité, qui recouvre les restes du grand sculpteur. Cette tombe est simple, grave ; elle rappelle, dans son modeste recueillement, la pensée sévère et philosophique de l’artiste, que reflètent tous ses ouvrages. Point d’épitaphe : les œuvres parlent assez haut. La bordure de granit porte seulement ces mots : Bertel Thorvaldsen, né le 19 novembre 1770, mort le 24 mars 1844. Jetons un coup d’œil sur la longue carrière qui sépare ces deux dates, et nous reviendrons après à ces créations qui entourent la dépouille du maître comme un cortège triomphal.