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sans rire. C’est ce qui fut décoré du beau nom de plan national. Le plan national devait être imposé au vice-roi qui, bien entendu, n’était pour rien dans son éclosion. La maison de Ragheb-Pacha devint donc le centre d’un vaste pétitionnement auquel on obligea tous les notables, tous les pachas, tous les fonctionnaires, tous les ulémas, voire même le grand rabbin juif et le patriarche arménien à prendre part. Chaque nuit on y amenait un certain nombre de personnes auxquelles on donnait l’ordre de signer le plan national. Deux ou trois pachas à peine eurent le courage de protester. Une résistance fit beaucoup de bruit : ce fut celle du cheik-ul-islam de l’Egypte, du mufti de la mosquée d’El-Azar, qui, contrairement au cheik-el-bekri, refusa formellement de prendre part aux réunions tenues chez Ragheb-Pacha et de s’associer au prétendu mouvement patriotique et religieux, qui n’était en réalité qu’un mouvement de privilégiés menacés. Pour échapper à de fastidieuses obsessions, il se retira dans une petite ville aux environs du Caire. Après quinze jours de négociations, on obtint cependant qu’il signât le plan national, mais il accompagna sa signature de réserves formelles sur le fond des choses qu’il déclara désapprouver.

Pendant que la classe dominante de l’Egypte s’organisait ainsi pour la lutte, la commission internationale d’enquête achevait la préparation de son projet de règlement de la dette. Il serait trop long d’entrer ici dans des détails financiers qui n’y seraient point d’ailleurs à leur place. Contentons-nous de dire que cette commission, proclamant avec courage une vérité incontestable, mais que tout le monde avait cherché à dissimuler jusque-là, affirmait que l’Egypte était depuis trois ans en état de déconfiture. « Sans doute, disait-elle dans son rapport, le gouvernement a toujours fait face au paiement des coupons, mais les expédiens auxquels on a eu recours compromettaient gravement l’avenir pour sauver le présent. Payer les coupons dans ces conditions, c’est distribuer des dividendes fictifs, et l’on sait à quels résultats arrivent les sociétés qui persévèrent dans cette voie. Leur situation paraît brillante jusqu’au jour où leur ruine est irrémédiable. Si l’on veut éviter que ce jour arrive, il faut rompre avec les traditions du passé. Il ne faut plus, comme on l’a fait trop souvent, et notamment le 1er mai 1878, avoir recours, pour payer un coupon, à des anticipations d’impôts épuisant le pays pour une année entière. Il ne faut plus, comme au 1er novembre de la même année, prélever sur un emprunt les trois cinquièmes d’un coupon. Il ne faut plus enfin, comme on l’a fait depuis deux ans, laisser en souffrance tous les services publics. » En exécution de ces principes, la commission d’enquête proposait une série de mesures imposant sans doute à toutes les classes de