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rêvaient de l’imiter en Égypte dans des circonstances qui ne rappelaient en rien celles où elle avait été pratiquée. Ces malheureux plagiaires ne s’apercevaient pas qu’ils allaient jouer un rôle où personne ne les prendrait au sérieux, et que cette répétition d’une pièce déjà misérablement tombée sur un plus vaste théâtre ne pouvait qu’échouer sur la scène étroite et mesquine du Caire. Au moment même où le vice-roi chargeait quelques banquiers et quelques spéculateurs de rédiger un projet financier, le ministère européen, reconnaissant enfin que la réunion de la chambre des notables, dont le mandat était légalement expiré depuis un an, avait été une faute, décidait la fermeture de cette chambre. Mais l’Égypte, qui venait d’assister pour la première fois à une émeute militaire, devait assister encore au spectacle, non moins nouveau pour elle, d’une assemblée politique s’insurgeant contre la loi. Lorsque le ministre de l’intérieur vint lire à la chambre le décret de dissolution, un député du Caire se leva et l’apostropha violemment d’une belle paraphrase du mot fameux et apocryphe de Mirabeau : « Nous sommes ici par la volonté de la nation, nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes! » Ce même député, l’espoir du parti libéral en Égypte, que ses amis appelaient familièrement le Gambetta égyptien, se trouvant quelques jours plus tard dans un grand banquet auquel assistaient quelques magistrats européens, porta un toast de deux heures à la liberté et au gouvernement parlementaire. Il regardait sans cesse en parlant les magistrats européens dans l’espoir que son discours leur produirait une vive impression et qu’ils voudraient bien y répondre par quelques mots d’encouragement. Ceux-ci ayant gardé le silence, il s’approcha d’eux à l’issue du banquet: «Pourquoi, leur dit-il avec tristesse, n’avez-vous pas parlé après moi? — Et de quoi voulez-vous donc nous faire parler? — De la liberté et du gouvernement parlementaire; car ce sont des choses que j’aime beaucoup, mais je dois vous avouer que je ne sais pas au juste ce que c’est. » Un de ses amis, causant dans l’intimité avec le nouveau Mirabeau, lui posait la question suivante : « Si le ministère est renversé, si la chambre des notables est rétablie, que ferez-vous? oserez-vous combattre le despotisme du vice-roi? — Oui sans doute, pourvu qu’on me le permette. — Mais on ne vous le permettra pas. On vous placera dans l’alternative de vous résigner à un silence grassement payé ou d’aller faire dans le Soudan un de ces voyages dont on n’est jamais revenu. Vous exposerez-vous à ce danger? — Ah ! non ; si le khédive ne veut pas que je parle, il est certain que je ne pourrai rien dire. » Lorsque ce député avait apostrophé le ministre de l’intérieur, le khédive voulait donc qu’il parlât! S’inspirant des avis de Chériff-Pacha, qui se proposait d’être