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conditions extrêmement favorables et ayant touché durant quelques années des intérêts tout à fait exorbitans, s’étaient toujours attendus à subir tôt ou tard l’épreuve de la réduction. Désirant d’ailleurs conserver dans leur épargne une valeur naturellement très bonne, ils tenaient surtout à ce qu’elle ne fût pas compromise par une hausse factice, bientôt suivie d’une inévitable banqueroute. Or, après dix-huit années d’épouvantables dilapidations, les ressources de l’Egypte étaient presque totalement épuisées; aucun observateur impartial ne mettait en doute que, si on continuait à pressurer les contribuables par les plus odieux moyens, afin d’arriver à payer intégralement les coupons, un jour viendrait où il ne serait plus possible de tirer une seule piastre d’un pays aux abois. Telle était l’opinion formelle des commissaires de la dette publique, représentans officiels des créanciers consolidés. Ils avaient saisi, comme nous l’avons déjà remarqué, toutes les occasions pour dégager leur responsabilité personnelle de la politique qui consistait à obliger l’Egypte à tenir coûte que coûte « ses engagemens », et déclaré bien haut qu’à leur avis on préparait ainsi une catastrophe dans laquelle la dette tout entière serait engloutie. Mais les grands établissemens financiers de Paris se souciaient fort peu de cet avenir sinistre. Ils savaient depuis longtemps que les valeurs égyptiennes étaient condamnées à une dépréciation fatale; leur seule ambition était d’obtenir une hausse de quelques mois pendant laquelle ils écouleraient dans le public tous les titres qui encombraient leurs portefeuilles, faisant tomber ainsi sur les petits capitalistes une perte qu’ils ne voulaient pas subir eux-mêmes. Aussi la nouvelle que le ministère européen préparait un projet de décret pour modifier les conventions passées entre le khédive et MM. Joubert et Goschen avait soulevé en Europe d’ardentes protestations dont l’écho, retentissant jusqu’au Caire, redonnait au khédive une hardiesse que l’action énergique de la France et de l’Angleterre lui avait fait perdre un instant. Rien ne lui paraissait plus facile que de se concilier l’appui des cercles financiers de Paris et de Londres. Il lui suffisait pour cela de déclarer que ses ministres avaient tort de parler de réduction, que l’Egypte pouvait et voulait payer, que quand on la rendrait à elle-même elle s’empresserait de faire face à tous les engagemens qu’on se proposait de violer. A la vérité, il ne suffisait pas de promettre, il fallait tenir. Mais le khédive, fidèle à son caractère, au tempérament de tous les Turcs et aux traditions de son ancien ministre des finances, ne se préoccupait que de l’heure présente. Pourvu qu’il parvînt à payer ou seulement à faire croire qu’il paierait un coupon, peu lui importait l’avenir! Or l’Egypte était certainement en mesure de payer un coupon, à la