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M. Müntz, les précédens et les premiers progrès de la renaissance. Nous avons rappelé les principaux traits de la décadence monumentale de Rome ; nous rechercherons quels restes avaient été conservés de traditions protectrices pour les monumens romains, quelles lueurs d’espérance subsistaient d’un meilleur avenir, puis quels travaux furent accomplis en ce sens pendant le XVe siècle.

Quel âge avait été le plus funeste pour les monumens de Rome ? Il serait difficile de répondre précisément à cette question. Pendant plusieurs siècles sans histoire, alors qu’une chétive population cachait à l’abri de glorieux murs son inertie et sa misère, elle a subi une lente décomposition qui a souillé et mutilé les plus beaux édifices. Les périodes d’agitation et de guerre civile, qui n’ont pas été rares même pendant ces temps obscurs, ont dû lui être encore plus redoutables : la main de l’homme a certainement pesé sur elle plus que celle du temps. Elle a été singulièrement maltraitée au Ve siècle, pendant les invasions barbares ; au XIe siècle, parmi les guerres entre le sacerdoce et l’empire ; au XIVe siècle, alors que les pontifes étaient exilés de leur capitale, et que les guerres civiles, les rivalités féodales, les mouvemens démocratiques, la peste, les inondations, les tremblemens de terre y multipliaient les malheurs et en bannissaient tout bon ordre. Même les erreurs des époques bien différentes qu’animait un esprit nouveau lui sont devenues fatales. Les papes du XVe siècle dépouillent et ruinent les monumens antiques pour construire leurs édifices ; Nicolas V met la main sans scrupule sur l’ancienne basilique de Saint-Pierre, sur le temple de Probus et bien d’autres monumens vénérables qui en dépendent. Le XVIe siècle effacera presque toutes les peintures de la première renaissance, et non pas toujours pour y substituer, comme au Vatican, les œuvres d’un Raphaël. Michel-Ange, voulant donner à la statue de Marc-Aurèle une solide base, enlèvera sans hésiter un morceau de frise à l’architrave des thermes de Titus. Sixte-Quint fera raser le Septizonium de Septime Sévère. Le XVIIe siècle enfin modernisera les églises, en épargnant à peine, entre toutes les œuvres de l’architecture du moyen âge, quelques campaniles et quelques cloîtres. — Rome cependant survit aux continuels désastres ; jamais ne se sont effacés entièrement le souvenir, le sentiment et les traces de sa puissance. Ses grands papas du moyen âge les ont ranimés et renouvelés avec assez d’éclat, et elle est encore restée digne, après tant d’infortunes, de devenir à son jour le plus intense foyer de la renaissance italienne.


À. GEFFROY.