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moyen âge à celle de Cincinnatus et de Camille. Ce n’est sans doute pas dans le tumulte des invasions, ni même dans le désordre des guerres civiles que le long travail de la spoliation des monumens de Rome a pu s’accomplir; n’est-ce pas plutôt dans le silence et l’obscurité de ces temps qui n’ont pas eu d’histoire, alors que des générations inertes n’avaient plus d’énergie que pour dégrader insensiblement, jour par jour, les œuvres de leurs ancêtres, alors que des multitudes pauvres et superstitieuses se ménageaient des abris dans les édifices antiques, et les fouillaient incessamment? Ces mêmes ouvertures auront été agrandies en bien des cas pour recevoir les extrémités des charpentes formant les toits des misérables habitations qu’on improvisait : il est plus d’une des grandes ruines de Rome où l’on retrouve les traces de ces pauvres demeures, suspendues à divers niveaux, selon le graduel exhaussement du sol. — Une autre hypothèse, que j’ai entendu exprimer par M. de Rossi, serait que les fragmens de fer n’auraient pu être recherchés si avidement que dans un moment de nécessité suprême, par exemple pendant un des nombreux sièges que Rome a subis. Les trous sont si nombreux, ils sont quelquefois placés en des parties si peu accessibles, qu’il y a fallu peut-être un effort plus vigoureux encore que celui d’une longue patience; on devrait voir ici une entreprise faite en commun par la puissance publique dans un instant de danger, pour se procurer des projectiles ou des armes.

L’exhaussement continu du sol romain, grâce à l’accumulation successive des ruines, par-dessus lesquelles on a toujours continué de bâtir assez peu solidement, est un autre signe qui offre de singuliers contrastes et réserve à l’observateur des surprises extraordinaires. — Ce phénomène ne s’est pas produit seulement dans les vallées; on le retrouve aussi sur les hauteurs. Si d’une part le rocher tarpéien a perdu, dès l’antiquité, quelques parties de son sommet, si le Palatin n’a plus la Velia ni le Germalus, si une sorte d’aplanissement général a fait disparaître les inégalités supérieures de ces collines, par contre il n’est pas un voyageur qui n’ait remarqué sur le Palatin l’infériorité actuelle de niveau, soit de la maison de Livie, soit de ces chambres, construites, il est vrai, au temps de la république dans l’intermontium, et où l’on descend du milieu du palais de Domitien. Sur l’Esquilin, les thermes de Titus sont édifiés par-dessus la maison dorée de Néron. Sur le Quirinal, on retrouvait récemment les thermes de Constantin en creusant entre les jardins Rospigliosi et les jardins Colonna. Au Cælius, près de l’église des saints Jean et Paul, là où se trouvent des ruines considérables difficiles à identifier, les fouilles du temps de Piranesi ont démontré que l’exhaussement du sol avait