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monde. Ce qu’on croyait d’une exécution impossible, tout au moins fort difficile et invraisemblable, est entièrement exécuté. Il n’y a plus un soldat russe sur le territoire ottoman. L’empereur de Russie a tenu ses engagemens d’une manière aussi digne qu’honorable, et en ce moment il unit cordialement ses efforts à ceux de l’Angleterre et des autres puissances pour maintenir la paix générale. Si le sultan n’a pu encore remplir toutes ses obligations, il faut lui tenir compte d’une situation difficile. Le traité de Berlin doit suffire à tout, à l’avenir comme au présent, et si de nouveaux dangers devaient naître, « il serait trouvé à la hauteur de n’importe quelle éventualité ! » L’Angleterre n’a qu’à se féliciter de son œuvre, elle peut se complaire dans le sentiment de sa prévoyance, de son habileté, d’autant mieux que, si elle n’a pas réussi à préserver l’empire ottoman et si elle n’est sûre de rien, elle a du moins gagné pour elle la possession de Chypre ! C’est la compensation de bien des mécomptes ; lord Beaconsfield ne le dit pas, mais il le pense. M. Waddington, quant à lui, a sûrement le ton plus modeste, moins triomphal ; il a parlé en ministre sérieux d’un pays obligé à mesurer son langage comme ses actes. M. le président du conseil s’est plu à retracer le rôle de la France, sans l’exagérer et sans le diminuer, sans déguiser l’intérêt que la diplomatie française porte à certaines questions et les difficultés qu’elle rencontre. De ces deux discours ministériels rapprochés, remis l’un et l’autre en face de la réalité des choses, il résulte à peu près que, si les puissances ont le bon esprit de chercher à s’entendre, de mettre la paix générale au-dessus de tout, l’accord ne laisse pas quelquefois d’être laborieux, que, si le traité de Berlin s’exécute dans son ensemble, il y a encore bon nombre de points obscurs et incertains, aux frontières grecques, en Roumanie, dans la Roumélie, dans l’empire ottoman tout entier. La question égyptienne reste à part.

Ce qu’il y a de certain, c’est que cette affaire des frontières de la Grèce, sur laquelle M. le président du conseil a tenu à donner des explications particulières et plus étendues, est loin d’être réglée. Elle déjà passé depuis un an par toute sorte de phases ; elle n’est pas facile à résoudre, puisqu’elle met en présence les prétentions de la Grèce et les résistances de la Porte, peu disposée à céder des territoires que la guerre ne lui a point enlevés. Il y a eu une première fois des commissaires ottomans et helléniques qui se sont réunis à Prevésa, qui ont négocié, qui ont eu tout au moins l’air de négocier, et ne sont arrivés à rien. Il y a eu plus récemment, toujours en exécution du traité de Berlin, une offre de médiation faite par les puissances, acceptée avec empressement à Athènes, probablement aussi acceptée désormais à Constantinople. La question en est encore là : elle a été contrariée jusqu’ici par une série de crises obscures dans les conseils du sultan et par la difficulté de rallier toutes les puissances à une action