Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/949

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les avait rejetées comme en appendice. Ainsi je lis : « Il faut mettre au chapitre des Fondemens ce qui est en celui des Figuratifs touchant la cause des figures, » et je dis aussitôt à l’éditeur : Mettez au chapitre des fondemens ce qui est au chapitre des figuratifs, et supprimez cette indication, qui ne m’apprend rien si vous l’avez suivie, mais qui me démontre l’inutilité de votre tentative, si vous n’avez pas pu la suivre. Le malheur est à la vérité que, sauf cette mention, il n’existe pas ombre ni trace du chapitre des Fondemens.

Ailleurs, ce sont des « paquets » de citations sacrées ou profanes. L’une par exemple est de Sénèque, l’autre de Cicéron, la troisième de Sénèque encore, une autre de Virgile, une autre de Térence, et bien entendu qu’elles n’offrent entre elles aucun rapport. Pouvez-vous en faire usage et les mettre en leur vraie place ? Non. Alors ne les imprimez pas. Un hémistiche de Virgile a son prix, et de même un vers de Térence, je les lirai dans Virgile ou dans Térence ; mais ce n’est pas du Pascal. Ou si vous les imprimez, que ce soit au moins comme M. Fau-gère, à la fin du volume, et non pas, comme M. Molinier, au beau milieu d’un chapitre ; mais ni dans l’un ni dans l’autre cas, ne nous parlez d’une restitution de l’Apologie.

En un autre endroit ce seront les variantes d’une même pensée, sur laquelle Pascal est revenu plusieurs fois : « 1° Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. — 2° Rien ne montre mieux la vanité des hommes que de considérer quelle cause et quels effets de l’amour ; car tout l’univers est changé, le nez de Cléopâtre. — 3° Vanité. La cause et les effets de l’amour. Cléopâtre. » Vous sentez-vous le courage de choisir entre ces trois versions ? Si oui, de quelle autorité, sur quels motifs[1] ? ou sinon que devient cette belle ordonnance que vous nous promettiez, et, pour emprunter les expressions de M. Rocher, « ce vaste monument, aux lignes régulières, aux proportions majestueuses, » et qu’à vrai dire vous n’osez pas seulement débarrasser de ses échafaudages, crainte en effet qu’il ne croule.

En de telles conditions, que tout se brouille et que tout se confonde, il n’y a pas de quoi s’étonner, et si l’éditeur en arrive jusqu’à ne plus reconnaître sous une expression légèrement différente une seule et même pensée, rien de plus fâcheux pour Pascal, mais aussi rien de plus naturel. Voici, par exemple, une pensée qu’on ne saurait trop, à ce qu’il semble, recommander à la méditation des érudits : « Puisqu’on ne peut être universel et savoir tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir peu de tout. Car il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d’une chose : cette universalité est la plus belle. Si

  1. Il y aurait bien un motif ici : c’est que la seconde version ne figure que dans une copie, et encore y est-elle barrée ; je demande alors quelle est cette plaisanterie que de la reproduire, et dans le corps de l’Apologie prétendue ?