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l’impuissance de la philosophie ? Le fait est que nous n’en savons rien, et cependant tout est là.

Ajouterai-je que, pour prendre parti résolument, il faudrait pouvoir pénétrer beaucoup plus avant que nous ne saurions le faire dans la connaissance de Pascal lui-même. C’est ici le cercle d’où nous ne sortirons pas aisément. Pour ordonner méthodiquement les Pensées, il faudrait avoir vécu dans l’intimité des méditations de Pascal, et justement nous n’y pouvons vivre que par le secours des Pensées. Aussi le connaissons-nous assez mal. Il y en a peut-être toujours qui continuent de lui faire cette injure de révoquer en doute la solidité de sa raison, qui parlent avec pitié de son « amulette » et de ses « hallucinations, » et qui traiteraient volontiers les Pensées, à la façon de Voltaire et de Condorcet, comme le rêve d’un malade. D’autres nous l’ont représenté, pendant sa courte vie, travaillé mortellement des angoisses du doute, et, dans l’excès insupportable de je ne sais quelle désespérance romantique, se jetant au pied de la croix et se réfugiant, comme au suprême asile, dans les austérités de la vie monastique. Sainte-Beuve prétend que pour « un cœur ardent comme celui de Pascal, il n’y avait que l’abîme ou le Calvaire. » Victor Cousin décide « qu’il y avait du fanatique » dans l’auteur des Pensées. D’autres encore ne veulent voir en lui qu’un chrétien sincère et convaincu, plus humble qu’un petit enfant, s’efforçant de communiquer à ses semblables la paix qu’il goûte lui-même dans la possession des vérités éternelles, et « devenant théologien dans l’intérêt de ceux qui n’ont pas eu le bonheur de faire les mêmes expériences que lui[1]. » Nous n’avons point de choix à faire parmi toutes ces hypothèses, nous tirons seulement de leur diversité cette conséquence qu’il n’est pas facile de restituer l’Apologie de Pascal. Si l’on veut descendre au détail, on en voit l’impossibilité.

Je ne reviendrai pas sur l’état du manuscrit, si ce n’est pour faire observer qu’il renferme un assez grand nombre de passages que l’on parvient maintenant à lire et qui ne nous restent pas moins incompréhensibles, celui-ci, par exemple : « Jamais on ne s’est fait martyriser pour les miracles que l’on dit avoir vus, car ceux que les uns croient par tradition, la folie des hommes va peut-être jusqu’au martyre, mais non pour ceux qu’on a vus. » Il ne me paraît pas qu’on ait fait beaucoup pour l’éclaircir en écrivant comme on écrira désormais, « car ceux que les Turcs croient par tradition. » On trouvera dans l’édition de M. Astié une autre manière encore de lire ce même fragment.

L’autographe contient en outre quantité d’indications qui ne pouvaient avoir de valeur que pour Pascal, et que je ne comprends pas que l’on continue d’imprimer dans le corps des Pensées. M. Faugère au moins

  1. Astié.