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parti qu’on pouvait tirer. Nous avons encore, dans le manuscrit autographe, quelques indications précieuses de Pascal. Et je sais enfin que Victor Cousin, dans son célèbre Rapport de 1843, a parlé non-seulement du plan, mais de l’ouvrage de Pascal comme s’il l’avait vu, lui, Cousin, de ses yeux. Il a déclaré publiquement « que ce n’eût pas été seulement un admirable écrit théologique et philosophique, mais un chef-d’œuvre -de l’art où l’homme qui avait le plus réfléchi à la manière de persuader aurait déployé toutes les ressources de l’expérience et du talent, la dialectique et le pathétique, l’ironie, la véhémence et la grâce, parlé tous les langages, essayé toutes les formes pour attirer l’âme humaine par tous ses côtés vers l’asile toujours ouvert du christianisme. » N’eussiez-vous pas juré qu’il l’avait lu ? Mais c’était le triomphe de Victor Cousin que de s’abandonner à l’impétuosité naturelle de son imagination et que d’anticiper ainsi, par une fougue d’éloquence, sur les conclusions que de plus scrupuleux, comme Sainte-Beuve, tenaient toujours en suspens. Il a résolu, comme cela, non-seulement en critique, mais en histoire, mais en philosophie, plus de vingt problèmes qui sont restés des problèmes, et c’est pourquoi son autorité n’en est pas une. Quant aux indications de Pascal, dans les fragmens autographes, elles ne sont par malheur ni si précises, ni surtout si certaines que Victor Cousin affectait de le croire. Comme le dit excellemment M. Ernest Havet : « Pascal avait un dessin général, de grandes divisions, telle préface ou tel chapitre en projet ; cela suffit pour ordonner un discours, non pour ordonner un livre. » Et cela ne saurait nous suffire pour affirmer par exemple que « c’était de la forme épistolaire qu’il voulait se servir. » L’Entretien de Pascal avec M. de Saci est à tous égards un morceau précieux, mais il est vraisemblablement de 1654, c’est-à-dire antérieur à ce miracle de la Sainte-Épine qui fut la suprême révélation de Pascal, le coup de foudre, l’illumination des dernières années de sa vie. Bien plus, le Pascal de l’Entretien avec M. de Saci n’est pas seulement encore le Pascal des Provinciales, et je crois qu’un psychologue, même exercé, ne laisserait d’avoir quelque peine à retrouver dans l’auteur des petites lettres tous les traits de l’auteur des Pensées. Cet entretien importe beaucoup à la connaissance de Pascal, je ne puis cependant accorder qu’il « contienne la clé des Pensées. » Pour la préface d’Etienne Périer, c’est assez d’un premier coup d’œil, et l’on voit que le plan qu’il donne pour le plan de Pascal diffère sensiblement du plan que donne Mme Périer. Y regarde-t-on de plus près ? Il semble qu’on ne puisse les concilier seulement, bien loin qu’on puisse essayer de les fondre l’un dans l’autre. Et puis on ne remarque pas assez que ce n’est pas Mme Périer qui nous a transmis elle-même les renseignemens qui figurent dans sa Vie de Pascal sur le plan de l’Apologie. Nous les y intercalons, mais elle les avait supprimés dans l’édition publique de son