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l’Angleterre et les États-Unis une question extrêmement épineuse, la question des dommages dus aux États-Unis par suite des déprédations de l’Alabama. Le président Johnson avait fait avec lord Clarendon un traité qui n’avait pas été ratifié par le sénat américain. Sumner, l’ami intime de Motley, avait contribué puissamment à faire échouer les négociations ; il avait rendu l’Angleterre responsable non-seulement des dommages directs causés par les corsaires, mais du dommage indirect causé au commerce américain par les changemens de pavillon, l’augmentation des assurances maritimes et des frets, les perturbations dans les échanges et sur les marchés. Le général Grant était décidé à renouer les négociations avec l’Angleterre : il ne voulait ni sacrifier les droits de son pays, ni laisser se perpétuer une cause d’irritation et de discorde entre l’Angleterre et les États-Unis. Il cherchait un moyen terme entre les idées trop impopulaires de M. Johnson et les prétentions excessives de M. Sumner, quelque chose qui fût à la fois une réparation morale et une réparation matérielle. Les questions de droit international les plus délicates et les plus dangereuses étaient soulevées par cette contestation qui durait depuis quelques années déjà : il importait donc de donner à M. Motley des instructions qui fussent de nature à enfermer son action diplomatique entre des limites tout à fait précises. Ces instructions furent préparées, en réalité, par celui qui devait les recevoir ; Motley y travailla avec M. Sumner, et le projet qu’ils avaient préparé en commun, en s’inspirant des mêmes vues, des mêmes passions, fut soumis au secrétaire d’état et au président très peu de temps avant le départ de Motley. Le projet ne plut ni à M. Fish ni au général Grant, il leur sembla que ces instructions n’offraient pas assez d’ouverture à l’Angleterre. M. Fish, pressé par le temps, dit à M. Motley qu’il lui enverrait des instructions définitives en Angleterre. Arrivé de l’autre côté de l’Atlantique, M. Motley eut toutefois une première conversation à fond avec lord Clarendon. Il en rendit compte à son gouvernement, et on lui fit remarquer qu’il avait un peu trop parlé dans le sens et dans l’esprit des instructions qui avaient été écartées, et qu’il aurait dû attendre des instructions nouvelles. Si le général Grant avait eu quelque animosité personnelle contre Motley, il aurait pu saisir cette occasion pour le forcer d’abandonner un poste où il était si important pour lui d’avoir un représentant absolument fidèle de sa politique. Le général Grant ne témoigna pas même de l’humeur ; sans entrer dans un détail qui serait aujourd’hui oiseux, nous dirons seulement que le président, toujours à propos des négociations relatives à l’Alabama, aurait plus tard trouvé encore assez aisément dans la correspondance de M. Motley l’occasion d’une rupture.