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enthousiasme pour la croix qui, pendant la longue guerre contre le croissant, avait été le trait romanesque et caractéristique du caractère national, avait dégénéré en bigoterie. Ce qui avait été l’orgueil de la nation devint la honte du souverain. »

Si la passion fait parfois trembler la plume de Motley quand il s’occupe de personnages comme Charles-Quint ou Philippe, sa main est merveilleusement habile à peindre les personnages de second plan ; il y a dans son portrait d’Egmont le mélange le plus heureux de dédain et de pitié : « Nous l’avons suivi pas à pas, et jamais nous n’avons découvert en lui le germe des élémens qui font le champion national. Il n’avait point de sympathie pour le peuple, mais il aimait à être, en qualité de grand seigneur, regardé et admiré par une foule ébahie. Il était catholique décidé, tenait les sectaires en abomination, et après le brisement des images, il prit un véritable plaisir à pendre les ministres, avec leurs congrégations, et à pousser aux dernières extrémités les assiégés de Valenciennes. Il donna plus d’une fois une approbation sans réserve aux infâmes édits de persécution et s’efforça maintes fois de les faire exécuter dans sa province. L’impression transitoire faite sur son esprit par la nature élevée d’Orange fut aisément effacée en Espagne par les flatteries de la cour et les présens royaux. En dépit de la froideur, des rebuffades et des avis répétés qui auraient pu le sauver, rien ne put l’arracher enfin à cette fidélité fanatique, où, après quelques hésitations, s’était enfin borné son esprit. » C’est en effet quand Egmont était prêt à faire toutes les besognes de Philippe II, quand il humiliait son orgueil devant le duc d’Albe, qu’on le fit monter sur l’échafaud. Le malheureux ne comprit rien à son propre destin ; dans le grand mouvement d’agitation des Pays-Bas, il représentait autre chose que le prince d’Orange ; Egmont était l’image de ces provinces qui devaient rester soustraites à la réforme et qui voulaient pourtant demeurer libres et conserver leur noblesse, leurs institutions municipales et provinciales. Egmont était le héros de Saint-Quentin et de Gravelines ; il était Belge, non Hollandais ; il fut populaire, parce qu’il avait tous les instincts des peuples des Flandres. Ces peuples se trouvaient assez heureux sous quelque gouverneur ou quelque gouvernante de sang illustre, tant que cette vice-royauté les protégeait contre les armes de la France sans gêner leurs libertés. Il n’y avait au fond aucune affinité entre les provinces qu’une tyrannie odieuse devait pendant quelque temps réunir contre l’Espagnol. Pour soulever ensemble les Flandres et la Frise, Valenciennes et Amsterdam, il fallut pousser la tyrannie Jusqu’à la démence ; le faisceau qui retint pendant quelque temps réunies les provinces belges et les provinces hollandaises se desserra sitôt que la main de Guillaume d’Orange fut séchée. L’opposition des