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passion républicaine ; la sincérité du puritain, du descendant des proscrits contraints d’aller chercher sur les rives d’un nouveau continent la liberté d’adorer Dieu à leur manière, éclate partout avec une véritable violence ; si sincère et si impartial qu’il veuille être, Motley devient quelquefois injuste. Nous ne saurions adopter tout à fait son jugement sur Charles-Quint ; il vante bien l’activité, la bravoure du grand empereur, mais que d’ombres ne met-il pas à son portrait ! Charles n’avait pas à ses yeux, quand il persécutait les protestans dans les Flandres, l’excuse du fanatisme, car il savait très bien traiter avec les princes protestans en Allemagne ; il tirait plus d’argent des seuls Pays-Bas que de l’Espagne et du Pérou ; il était fourbe, il était cruel, il était d’une gloutonnerie bestiale ; ses mœurs étaient grossières ; son abdication n’était qu’une comédie ; il ne renonça jamais complètement à Satan, à ses pompes et à ses œuvres ; du fond de son couvent il voulait encore gouverner le monde. Est-ce bien là le vrai Charles-Quint ? Motley a-t-il tout à fait compris ce génie étrange, lourd, gauche, mais qui conquit la gloire à force de sérieux ? Charles-Quint fut un empereur ; il eut un idéal : il rêva l’ordre politique et religieux dans un monde livré à tous les désordres. Il ne peut être mesuré à nos mesures : il se sentit, il se crut responsable pour l’humanité. Il voulut porter un monde, mais comme on porte une croix. Il alla du nord au sud, de l’orient à l’occident, luttant contre les Turcs, discutant ou bataillant avec l’hérésie ; son abdication fut un acte sublime ; elle démontra à tous les rois et princes de l’Europe que l’empereur n’avait pas seulement cherché le vain orgueil de l’empire, qu’il avait poursuivi autre chose que ce qu’ils voulaient eux-mêmes ; elle fut une leçon pour le pape, en lui montrant le descendant de Charlemagne, le roi des rois, plus humble que le vicaire de Jésus-Christ. Charles-Quint prouva que le gouvernement des hommes est une tâche dont la tristesse peut atteindre presque aux limites de la sainteté.

Le jugement de Motley sur Philippe II, si sévère qu’il soit, est plus près de la vérité. Après avoir montré tous les défauts de Philippe, sa timidité cruelle, l’extraordinaire petitesse de son esprit, sa prolixité, sa manie d’écrire, de vouloir tout régler avec des protocoles, d’envelopper d’un nuage de mots son absence ordinaire de desseins arrêtés, Motley ose ajouter : « Malgré tout, il apparut comme l’incarnation de l’esprit chevaleresque espagnol, de l’enthousiasme religieux espagnol, dans sa forme dernière et corrompue. Il fut entièrement Espagnol. Les élémens bourguignons et autrichiens de son sang semblent s’être évaporés, et ses veines n’étaient pleines que de l’antique ardeur qui dans les siècles héroïques avait enflammé les Goths de l’Espagne. Ce terrible