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courage ; lady Byron disait volontiers qu’elle n’avait jamais rencontré personne qui lui rappelât aussi bien son mari ; je n’ai connu Motley que déjà grisonnant : il y avait encore en lui quelque chose du « jeune dieu. » Je sais gré à Oliver Holmes d’avoir parlé, comme il l’a fait, de la beauté, du charme, de l’élégance de son ami ; il y a quelque chose de touchant dans son admiration : « Je me souviens qu’une femme d’esprit disait d’un beau clergyman qu’il avait des yeux habillés, Motley habillait si bien tout ce qu’il portait que, si dans un incendie il avait sauté à bas de son lit et s’était enveloppé de sa couverture, il aurait eu l’air d’un prince en négligé. » Ce qu’il y avait de plus frappant dans Motley, selon moi, c’est qu’il n’avait l’air ni d’un Américain, ni d’un Anglais, ni d’un Français, ni d’un Italien ; il semblait comme d’une race à part. Je ne l’ai jamais vu entrer dans un salon sans que tout le monde se retournât pour le regarder. Avec toute la simplicité, la modestie de l’homme bien élevé, il avait un je ne sais quoi qui étonnait.

Son éducation américaine terminée, on l’envoya en Europe pour deux ans ; il y partagea son temps entre les universités de Berlin et de Göttingue. Dans cette dernière ville, il fit la connaissance intime d’un jeune étudiant qui était destiné à atteindre une grande célébrité. Holmes raconte que, pendant sa dernière visite aux États-Unis, Motley lui fit lire un jour une lettre très gaie, où quelqu’un lui rappelait les jours déjà lointains de l’université. « Je m’étonnai que quelqu’un en Allemagne pût lui écrire d’un ton aussi aisé et aussi familier. Je connaissais la plupart de ses anciens amis qui pouvaient l’appeler par son nom de baptême, et je fis toutes sortes de conjectures avant d’arriver à la signature. J’avoue que je demeurai surpris, après avoir ri de la lettre si cordiale et presque enfantine, de voir au bas de la dernière page la signature de Bismarck. » Quand Holmes se décida à écrire la vie de son ami, il s’adressa sans hésiter au prince Bismarck pour lui demander quelques détails sur le séjour qu’avait fait Motley en Allemagne dans ses jeunes années. Le chancelier ne lui répondit pas lui-même : son secrétaire intime, M. Lothair Bucher, écrivit à Holmes que le prince était souffrant et accablé d’affaires, mais qu’il avait pu recueillir de sa bouche quelques détails qu’il était chargé de lui envoyer. Voici textuellement la note de M. L. Bucher :

« Le prince Bismarck m’a dit : Je fis connaissance de Motley à Göttingue, en 1832, je ne sais plus bien si c’est au commencement du terme de Pâques ou du terme de la Saint-Michel. Il vivait avec les étudians allemands, bien qu’il fût plus adonné à l’étude que nous autres membres des corps batailleurs. Bien que peu maître encore de la langue allemande, il attirait l’attention par une conversation