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l’Estacque à l’est un vaste golfe qui s’enfonçait dans les terres jusqu’aux confluens du Rhône et de la Durance. Car cette dernière, mère de la Crau, la plaine de pierres bien connue, avait plusieurs bouches bien différentes de son embouchure actuelle, Marius, l’an 102 avant notre ère, gêné dans ses approvisionnemens par les barrages naturels du fleuve, fit creuser par ses soldats un large canal qu’il dirigea vers un point du littoral sûr et commode. Ce fut la Fossa Mariana, dont les Marseillais tirèrent ensuite un grand profit commercial. Ce canal s’avançait un peu au-dessous d’Arles, utilisait une dérivation de la Durance, et il est à noter que Marius devança comme d’instinct les ingénieurs de nos jours, qui ont enfin découvert, mais après plus d’une école, qu’on ne délivre pas l’accès d’un fleuve des barrages qu’il se fait à lui-même en l’endiguant de manière à lui imprimer un courant plus rapide. La barre se reforme plus loin, mais ne s’en forme pas moins. Il faut donc procurer au fleuve un émissaire sur un point du littoral éloigné des atterrissemens à venir.

Nous devons du reste renvoyer à la carte savamment dressée par M. Desjardins ceux qui voudraient se rendre compte des profondes modifications que l’estuaire du Rhône a subies depuis l’antiquité. On retrouve les vestiges d’anciens bras du fleuve aujourd’hui desséchés. Des îles ont été rattachées au continent par les atterrissemens. D’autres se sont élevées du sein des eaux. Des bourgades existent aujourd’hui là où la mer roulait ses flots, celle entre autres des Saintes-Mariés, connue par la légende qui y fait débarquer Lazare le ressuscité, Marthe et Marie de Magdala, ses sœurs, Marie Jacobé, sœur de la mère du Christ, et Marie Salomé, mère des apôtres Jacques et Jean. Croirait-on cependant qu’on a dépensé beaucoup de savoir à soutenir contre toutes les évidences que le territoire des Saintes-Mariés existait déjà vers l’an 40 de notre ère, uniquement pour ne pas donner tort à cette légende naïve entre les naïves ?

De là, en se dirigeant vers les Pyrénées, on rencontre la remarquable série des étangs et des lagunes qui forment un cordon littoral des plus curieux. Leur origine doit être attribuée à la faible pente de la plage sablonneuse (0,01 par mètre), plan incliné sur lequel les vagues rejettent une partie des sables qu’elles entraînent.

À la fin ces sables accumulés forment des espèces de bourrelets qui ferment peu à peu les anses et se soudent les uns aux autres. La mer çà et là détruit son propre ouvrage, mais la configuration générale demeure. Les étangs étaient plus profonds autrefois qu’aujourd’hui et servaient à la navigation. On allait en bateau de Narbonne à Arles par les étangs et le petit Rhône sans entrer dans la Méditerranée.