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Les fleuves font aussi partie du capital permanent de la terre gauloise, bien que leurs embouchures, nous allons bientôt le voir, aient singulièrement changé d’aspect. Dût-on s’en formaliser en Allemagne, nous devons commencer cette revue spéciale par le Rhin, limite géographique et politique longtemps incontestée de la Gaule. Il faut toutefois reconnaître que, comme limite ethnique, il s’acquitta toujours fort mal de sa fonction. Au temps de César il y avait déjà des peuples germains sur sa rive gauche, mais au temps de Tacite il y avait encore des peuples celtes sur la rive droite, et cet historien observait qu’il n’opposait qu’un faible obstacle aux incursions de droite ou de gauche. Sauf quelques déviations sans importance, son cours n’a guère changé jusqu’à Tolhuis. Mais, à partir de là, ses bras et ses embouchures ont beaucoup varié, ainsi que la région qu’ils traversent. Il a fallu d’immenses recherches pour reconstituer par à peu près la physionomie antique des pays qui forment aujourd’hui le Limbourg, le Brabant, la Zélande et la Hollande proprement dite. Drusus, père de Claude et de Germanicus, Corbulon, Civilis compliquèrent encore le réseau terminal du grand fleuve par leurs travaux de défense et augmentèrent par là le nombre de ses bras. C’est ce qui explique l’incohérence des renseignemens fournis par les anciens géographes. La Meuse suivait aussi un cours très différent de son cours actuel. Sans mêler encore ses eaux à celles du Rhin, elle passait à travers le pays qu’on nomme aujourd’hui le Biesbosch, mais qui ne présentait pas alors l’aspect déchiqueté de petites îles séparées par un tas de méandres marécageux, provenant de l’effondrement du XVe siècle. C’était dans ce temps-là une plaine unie, et la Meuse, après l’avoir traversée, passait au sud-ouest de Dordrecht, gagnait l’emplacement où s’élève aujourd’hui Maasdam, partageait l’île actuelle de Voorne et se confondait enfin avec le Wahal à Geervliet, à l’est de La Brille. Il est à noter que le nom de la Meuse est resté à un bras du Rhin qui passe à Roterdam, ce qui désoriente beaucoup les voyageurs.

Quant au Rhin proprement dit, il se partageait à partir de Schenk en deux grands bras qui bornaient au sud et au nord la grande île des Bataves. Le bras méridional, le Wahal, suivait à peu près son cours actuel ; l’autre remontait vers le nord et gagnait la mer par Utrecht, Woerden et Leyde (Lugdunum Batavorum). C’était le Rhin moyen, Rhenus médius, aujourd’hui le vieux Rhin, que Civilis et Corbulon réunirent au Wahal par deux grandes sections. Mais Drusus donna au Rhin une troisième embouchure en le réunissant à l’Yssel, ce qui lui permit de déboucher avec sa flotte dans le lac Flevo, aujourd’hui le Zuiderzée, mais alors de dimensions bien plus restreintes et terminé par une île actuellement submergée. On sait que ce fut la terrible inondation de l’an 1282 qui fit de ce lac une