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à la tribune. Les leçons oratoires ne sont pas plus inconnues en Allemagne qu’en France. Mais pour un professeur qui vise à l’éloquence, vous en trouvez dix qui, plus modestes ou mieux avisés, lisent et dictent. Telle est la pratique générale et quotidienne. Des professeurs qui ont leurs cahiers tout faits et des étudians qui font leurs cahiers, voilà, sauf exceptions, un cours d’université allemande. Peut-être serait-il plus simple que le professeur fît imprimer ses cahiers ; c’est ce qu’il fait quelquefois, mais à la fin de sa carrière. Il existe ainsi des manuels qui sont excellens : véritables modèles d’exactitude et de précision, que je souhaiterais qu’on imitât en France. Chose singulière, l’étudiant allemand ne les lit pas. Ils le dispenseraient de suivre les cours ; mais il préfère les suivre ; c’est une habitude prise ; il fait comme si l’imprimerie n’avait pas été inventée. Il lui plaît d’avoir des cahiers écrits de sa propre main ; cela l’aide à se persuader qu’il a travaillé. Il faut d’ailleurs moins d’efforts d’esprit pour prendre des notes que pour lire un livre.

Ces habitudes ne sont pas sans présenter d’assez grands avantages. En premier lieu, on est bien assuré que le cours n’est pas fait en vain. On sait ce que deviennent les paroles du professeur ; elles sont recueillies et conservées. Ce signe matériel d’utilité, qui manque à la plupart de nos cours français, est visible et indéniable dans tous les cours allemands. On peut toujours dire : Vous voyez bien que nous avons un véritable enseignement, il est suivi et il en reste quelque chose ; peut-être est-il donné et suivi sans grand zèle, mais il porte des fruits et c’est là l’important. Un autre avantage est que le professeur se donne beaucoup moins de peine qu’en France. Il n’a aucun besoin de préparer son cours. Ses cahiers une fois faits et tenus au courant, son enseignement ne lui demande plus aucun travail. Avant de monter en chaire, il n’a pas besoin de penser une seule minute à ce qu’il va dire. Il apporte un cahier ; à un certain coup d’horloge, il commence ; à un autre coup d’horloge, il s’arrête, et trois jours après il recommence à la phrase qui suit celle où il s’est arrêté. Aussi ne sent-il pas la fatigue du professeur français. Il ne connaît ni celle du professeur disert qui s’est donné une peine infinie pour être agréable à son public, ni celle du professeur érudit qui veut apporter à chaque leçon des recherches nouvelles et qui chaque fois se pose à lui-même et pose à son auditoire un problème à résoudre. Le labeur inutile de celui-là, le fécond travail de celui-ci sont également ignorés, sauf exceptions, du professeur allemand. Il peut alors réserver la plus grande partie de son temps, soit pour faire d’autres cours qui augmenteront ses revenus, soit pour se livrer à des études personnelles qui feront sa réputation. Nous nous étonnons parfois