Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui a le goût de la science, de la littérature, de la philosophie, a le droit et le moyen de s’instruire. Les étudians de vingt ans ne sont pas toujours ceux qui apprécient le plus l’étude, et c’est une idée juste de permettre aux hommes de tout âge de se faire étudians. Le mauvais côté est que, dans cette pleine liberté d’entrer, dans cette absence absolue de choix, il peut se glisser bien des personnes dont l’état d’instruction se trouve trop au-dessous de ce qu’il faut pour profiter d’un cours d’enseignement supérieur. Il peut alors arriver, et l’on affirme même qu’il arrive dans plusieurs villes de province, que la salle de cours cesse d’être un rendez-vous d’étude pour devenir le rendez-vous du désœuvrement, de la mode et de la frivolité. Or cette frivolité est exigeante à sa façon. Elle réclame du professeur un certain langage et de certains artifices qui n’ont rien de commun avec la science ; elle lui demande une forme élégante et une érudition légère ; elle le détourne de son véritable objet, elle le distrait et l’égaré. Il peut se faire que, cédant à la longue à une influence qui agit incessamment sur lui, il en vienne à s’interdire les recherches sérieuses et austères, et qu’il abaisse ainsi son enseignement à la mesure d’un amusement délicat ou d’un pur plaisir d’esprit[1].

Ce danger est réel ; il ne faut pourtant pas l’exagérer. Il y aurait beaucoup d’inexactitude et d’injustice à soutenir que le professeur français ne s’adresse qu’à un public frivole. Ceux qui disent cela, ou bien n’ont jamais mis les pieds dans une faculté, ou bien se mettent dans le cas de ce voyageur anglais qui jugeait toutes les femmes de Blois sur la première servante qu’il avait rencontrée. Il y a des opinions qui insensiblement s’établissent et qui un jour deviennent dominantes et maîtresses, sans que l’on puisse dire d’où elles viennent ni sur quels faits elles s’appuient. Il était d’usage autrefois de déprécier le professeur qui avait peu d’auditeurs à son cours ; il est de mode aujourd’hui, au moins dans une certaine école, de condamner celui qui en a beaucoup. Vous trouvez des gens qui vous disent sans broncher qu’un public nombreux est nécessairement un public ignorant et inintelligent. A ce compte, le mérite du professeur serait en proportion inverse du nombre de ceux qui l’écoutent, et cette sorte de criterium serait bien commode pour la médiocrité. La vérité est que le nombre ne fait rien à l’affaire. Que l’un attire beaucoup d’auditeurs par la chaleur de

  1. Que penser de l’inconcevable usage des applaudissemens ? Ils semblent dire au professeur : Nous pourrions vous siffler, nous aimons mieux vous applaudir. On les croirait établis pour rendre le professeur plus modeste et pour lui faire oublier que dans sa chaire il est un maître ; ils sont le memento quia pulvis es. Mieux vaut l’attention recueillie d’hommes qui prennent des notes.