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La voie de l’enseignement supérieur, qui est en France, après une lutte d’un moment, une longue sécurité, est en Allemagne une lutte de toute la vie. Je crois bien que les rapporteurs qui nous ont donné le tableau si minutieusement exact de l’université de Göttingue ont quelque peu exagéré, lorsqu’ils ont dit « que c’est une carrière d’aventure où l’activité et l’audace sont aussi nécessaires que le talent[1]. » Ce qui est vrai, c’est que, s’il est indispensable de travailler et d’avoir du mérite, il l’est encore plus d’être connu pour en avoir. Le principal est d’attirer l’attention. Il est donc possible que ce mode d’avancement soit plus favorable aux caractères actifs, remuans, habiles, qu’aux travailleurs modestes, isolés, indépendans. Il offre du moins cet avantage de tenir l’homme en haleine très longtemps et de ne lui permettre de s’endormir, à supposer qu’il y ait quelque inclination, que lorsqu’il est parvenu au sommet à force de labeur. Il est vrai qu’arrivé là, il jouit d’un plein repos. Il n’a ni révocation à craindre ni avancement à désirer. Il n’y a même pas pour lui de mise à la retraite. Il vieillit et meurt dans sa chaire, ou du moins à côté de sa chaire ; car il touche son traitement et figure sur l’affiche ; il annonce même un cours au commencement de chaque année ; seulement, il fait suivre cette annonce de la formule post-quam convaluerit, lorsque sa santé sera rétablie ; et cela dure jusqu’à ce qu’il meure[2].


III

Ce qui distingue le plus les universités allemandes des facultés françaises, c’est la nature de l’auditoire. En Allemagne, l’auditoire est uniquement composé de jeunes gens inscrits, c’est-à-dire de véritables étudians. Pour y entrer, il faut prouver qu’on a déjà fait certaines études, celles du gymnase, et qu’on veut en faire encore[3]. On sait qu’en France, surtout dans les facultés des lettres et des sciences, les salles de cours sont ouvertes à tout venant. Vous entrez sans que personne vous demande quel est votre âge, quelle est votre profession, quelles études vous avez faites et ce que vous venez chercher. Il y a beaucoup de bon et beaucoup de mauvais dans le système français. Le bon côté est que toute personne

  1. Rapport sur l’université de Göttingue, p. 174.
  2. Rapport sur l’université de Bonn, p. 34 ; sur l’université de Göttingue, p. 169.
  3. Cette règle n’est pas sans exceptions. Dans les cours qui sont faits publice, des étrangers et des hommes du monde peuvent entrer ; mais le cas est assez rare. En fait, les étudians ont à peu près expulsé des salles de cours les auditeurs bénévoles qu’ils appellent des philistins. C’est sans doute un mal ; mais le contraire s’est produit en France dans quelques villes, et c’est un mal plus grand.