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nationaux la sévère discipline d’autrefois, et par exemple les expulser arbitrairement de l’Égypte. Pourquoi donc imposer aux Égyptiens des lois qu’on n’observe plus soi-même ? Les Français qui venaient naguère dans le Levant étaient tenus de solliciter l’autorisation du gouvernement et de fournir la caution d’une maison de Marseille. En Égypte, les Francs habitaient un seul immeuble appelé fondique, que la police ouvrait et fermait chaque soir. Que sont devenues toutes ces précautions ? Et pourtant elles étaient la contre-partie nécessaire des capitulations. Si les indigènes ne pouvaient pas exploiter les Européens, la réciproque était vraie. L’est-elle encore de nos jours ? Aucun observateur consciencieux n’oserait le prétendre.

Le plus grand privilège résultant des capitulations, c’est l’exemption d’impôts. On discute beaucoup en théorie pour savoir si les Européens doivent payer ou non l’impôt. En pratique, ils paient quelquefois l’impôt foncier, mais ils n’en paient jamais d’autre. Encore ne paient-ils cet impôt foncier que lorsqu’ils jugent à propos de le faire et dans la mesure qui leur paraît convenable. En rendant compte des opérations de perception pendant l’année 1877, M. Romaine, contrôleur général des recettes, constatait dans chaque province de très gros déficits produits par les résistances d’Européens qui ne voulaient pas acquitter l’impôt foncier. La même note devient à chaque page du rapport de M. Romaine : « Les Européens n’ont pas payé. Nous nous sommes adressé au ministère des affaires étrangères, et notre plainte est arrivée aux consuls. Mais aucune réponse ne nous a été faite. » Les Européens avaient-ils tort ? Moralement, c’est incontestable ; légalement, c’est douteux. En l’absence de toute loi et de tout jugement, les Européens font eux-mêmes la loi et ils s’érigent en juges. Malheureusement leurs sentences sont sans appel. Elles n’en sont que plus injustes. Les Européens n’ont le droit de posséder en Égypte que depuis la loi ottomane de 1867, loi applicable à tout l’empire, et qui impose aux étrangers « toutes les charges et contributions, sous quelque forme et sous quelque dénomination que ce soit, frappant ou pouvant frapper par la suite les immeubles urbains et ruraux. » Les titres de possession délivrés en Égypte aux propriétaires européens portent également que ces propriétaires supporteront « toutes les charges et toutes les contributions qui sont maintenant ou qui peuvent dans l’avenir être imposées aux propriétés foncières. » Rien n’est plus clair ; mais on objecte que la loi de 1867 n’a aucune importance pour l’Égypte, attendu que les Européens ont commencé à y posséder sous Mehemet-Aly, à l’abri des capitulations, qui les exonéraient de tout impôt. La plupart d’entre eux refusent, en conséquence, de se soumettre aux prescriptions de la loi de 1867,