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n’allait plus ! Avoir une liste civile réduite, ne pouvoir plus s’occuper d’agriculture, être obligé de renoncer à bâtir, était-ce supportable ? Ismaïl-Pacha, qui avait en effet l’amour sinon de la civilisation européenne, au moins des dehors de cette civilisation, se serait consolé de voir son autorité réduite : il aurait accepté sans trop d’arrière-pensées des ministres étrangers gouvernant l’Égypte d’après des méthodes nouvelles ; il leur aurait livré peu à peu une partie de sa puissance, il leur aurait permis de donner aux Égyptiens une certaine liberté politique. Mais tout cela à une condition : c’est que les réformes européennes n’atteignissent pas sa fortune personnelle et ne blessassent pas ses goûts les plus chers. Un ministère responsable, au besoin même des chambres, ne lui auraient point déplu. Il aurait supporté une grande liberté de la presse : « On a tellement dit de mal de moi, remarquait-il un jour, que, si cela avait dû me perdre, ce serait fait depuis longtemps. » Mais ce qui était intolérable pour lui, c’était l’idée d’une surveillance financière régulière et constante. Il ne voulait pas de lois de finances ! La pensée d’un cadastre l’effrayait énormément. Était-ce, comme on l’affirmait, parce que ce cadastre devait prouver qu’il n’avait cédé à l’état qu’une partie de ses propriétés et qu’il avait conservé tout le reste sous des noms supposés ? Il serait difficile de l’affirmer ; mais il est impossible de ne pas le croire, car le renvoi des ministres européens a été décidé juste à partir du moment où l’exécution du cadastre a commencé.

Ce n’est pas à l’âge d’Ismaïl-Pacha, après dix-huit ans de pouvoir absolu, qu’on change de nature, qu’on devient l’homme d’une situation nouvelle, qu’on passe avec son pays d’Afrique en Europe. Il est clair que la création du ministère Nubar-Pacha était aux yeux du khédive une de ces combinaisons éphémères, nées d’un danger urgent et qui disparaissent avec ce danger, comme il en avait essayé déjà un si grand nombre depuis le début de son règne. N’avait-il pas construit autant d’institutions politiques et financières que de palais ? ne les avait-il pas laissé tomber aussi vite ? chambres des notables, conseil suprême du trésor, contrôle général, etc., qu’étaient devenues toutes ces créations passagères dont l’origine avait été saluée de discours non moins retentissans que ceux dont on accompagnait la naissance du cabinet européen ? Si quelque chose mûrit vite sur la vieille terre d’Égypte, ce sont les promesses des souverains ; mais quand le fruit est mûr, il tombe, et l’on n’en entend plus parler. Ismaïl-Pacha avait promis d’abolir la corvée : la corvée n’a jamais été aussi vivante qu’aujourd’hui ; il avait promis d’amortir toutes ses dettes au moyen de l’impôt de la moukabalah, qui devait en outre servir à diminuer de moitié la contribution foncière : les dettes grossissent sans cesse, et la terre