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but, sons prétexte de payer des dettes contractées par les fellahs envers les Européens, de faire passer dans les daïras une grande partie de la terre de ces fellahs. Les créanciers européens n’ont d’ailleurs été payés que de belles paroles ! Depuis lors, Ismaïl-Pacha n’a pas perdu une seule occasion d’accaparer de nouveaux biens. La rumeur publique lui attribuait d’immenses possessions ; mais la commission d’enquête n’avait eu aucun moyen de s’assurer de l’exactitude ou de l’inexactitude de ces bruits. Tout ce qu’elle avait pu faire, c’était de proclamer que le khédive, étant l’auteur responsable de la déconfiture financière, devait consentir à payer personnellement la dette jusqu’à concurrence du total de sa fortune et de celle de sa famille. Ismaïl-Pacha avait reconnu la justesse de cette proclamation et, quoique après bien des résistances, il avait cédé à l’état de nombreux domaines, dont on s’était servi pour contracter un emprunt destiné à solder les créanciers égyptiens. Mais cette cession était-elle faite sans esprit de retour ? De toutes les passions, celle dont on guérit le moins, c’est la passion de la propriété. Il était impossible que le khédive, qui avait consacré dix-huit années de règne à arrondir ses domaines, à les couvrir d’usines, de canaux, de routes et de chemins de fer ; qui s’était appliqué à y introduire les procédés agricoles les plus perfectionnés ; qui était devenu, en les cultivant, un agriculteur d’un très grand mérite, se résignât tout à coup à passer de l’état de gros propriétaire à celui de modeste rentier. S’il ne s’était jamais décidé à se fixer à lui-même une liste civile sévèrement circonscrite, comme il avait promis de le faire à son avènement, ses nouveaux ministres, plus courageux, se préparaient à exécuter eux-mêmes cette délicate et indispensable opération. On allait le réduire à un traitement régulier, inflexible, d’une douzaine de millions ! Comment, avec une si faible somme, se consoler de ses privations agricoles en donnant libre cours à une seconde passion non moins ardente chez lui que la première, la passion de l’architecture ? Ismaïl-Pacha a certainement construit au Caire ou dans les environs une trentaine de palais d’un luxe tout oriental, sans parler des casernes, des écoles, des monumens publics, etc. Dès qu’un palais était élevé, il s’en dégoûtait, l’abandonnait, le donnait à l’un de ses fils ou à l’un de ses favoris, puis en commençait un autre qui devait avoir le même sort. Jamais souverain n’a été plus convaincu de la vérité de la célèbre maxime : « Quand le bâtiment va, tout va ! » Tout allait en Égypte, tant qu’on y a construit ; mais lorsque la crise financière est arrivée, lorsque la commission d’enquête est venue parler d’économie, le khédive et ses courtisans, non moins passionnés que lui pour l’architecture, se sont trouvés arrêtés dans leurs travaux, dont la plupart étaient inachevés. Le bâtiment