Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/748

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Espérons qu’ils rôtissent dans un endroit que je ne nommerai pas et qui est institué pour de si grands coupables.

« Nous avons ici une Mme Ristori qui fait fureur dans une détestable tragédie d’un nommé Alfieri. C’est l’anecdote d’une certaine Myrrha qui avait de mauvais penchans. Les femmes qui prétendent savoir l’italien, et le nombre en est grand, se pâment d’admiration comme aussi les jeunes gens sentimentaux. L’actrice me plaît assez, mais la pièce me parait bien ennuyeuse, quoique immorale.

« Milady Mayoress est charmée de son séjour à Paris, mais elle trouve qu’on n’y mange pas assez souvent ; en effet, le lunch n’a pas encore été importé chez nous, et c’est grand dommage. Milord Mayor se fait accompagner partout de sa masse. L’autre jour, on a essayé de la planter derrière son fauteuil à dîner, mais il n’y a pas eu moyen. Nous possédons encore un très joli petit roi qui a l’air d’un étudiant allemand gai, c’est-à-dire picked out of ten thousand, car l’étudiant allemand est ordinairement mélancolique et pleure en regardant la lune.

« Je voudrais bien voir le tableau de Millais dont vous me parlez. Il y en a quelques-uns de lui à l’exposition qui ne manquent pas d’un certain je ne sais quoi. Mais il travaille, ce me semble, avec des pinceaux microscopiques, et il fait tout, principal et accessoires, de la même manière. Il y a de lui, si je ne me trompe, une Ophélie en train de se noyer qui m’a laissé une impression assez forte. C’est une figure dont on n’aime pas à se souvenir quand on va s’endormir et qu’on a éteint sa lumière. Comment avez-vous le courage de me proposer de boire de l’eau-de-vie pour me guérir ? Vous m’accusez de satanisme, mais c’est bien pis de votre part. M. Senior m’a prêté ses notes sur Alger, qui m’ont intéressé beaucoup. Il a vu en deux mois ce que nombre de nos grands hommes n’ont pas su voir en vingt. Si l’empereur faisait bien, il le ferait gouverneur. Je vous félicite des jolies choses qu’il vous rapporte, mais il y en a de bien plus jolies à l’exposition turque et indienne. On dit que les gens de la compagnie sont furieux que les princes indiens aient gardé tout cela pour nous au lieu de l’envoyer au Palais de Cristal comme de loyaux sujets auraient du le faire.

« Adieu, madame ; j’espère que vous n’avez pas encore dit votre dernier mot et que vous viendrez voir tout cela.. Veuillez présenter mes hommages à Mlle Minnie et agréer tous mes respects et un peu mes reproches. »


« 52, rue de Lille, 30 juillet 1855.

« Madame, je ne savais pas que votre mari fût un tyran. Comment vous laissez-vous tyranniser, et comment ne lui faites-vous pas faire toutes vos volontés ? Sachez que les êtres qui ont le malheur