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enfant lorsqu’à l’époque de son premier voyage en Espagne, Mérimée fut présenté à sa mère par le comte de Montijo, dont il avait fait en diligence la rencontre fortuite. Mérimée aimait les petites filles, et dans les lettres que je vais publier, on le verra témoigner plusieurs fois le regret de n’en avoir pas eu à élever. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été subjugué par des grâces enfantines qui faisaient déjà pressentir toutes les séductions de la femme. Je me suis laissé raconter que pendant les fréquens séjours à Paris de la comtesse de Montijo, lorsque le besoin de tout voir, qui dévore les étrangères, la retenait pendant de longues heures hors du logis, c’était à Mérimée qu’on laissait le soin de divertir celle qu’on appelait alors la petite Eugénie. Il la menait à la promenade, lui faisait voir les monumens de Paris, et s’intéressait à son babil. Ce fut lui qui, quelques années plus tard, introduisit la mère et la fille dans la petite colonie lettrée, artiste et élégante de Passy, où la jeune comtesse de Téba a passé des heures dont sa mémoire attristée aimera peut-être un jour à se rappeler la douceur. Les relations de Mérimée avec la famille de Montijo étaient de si longue date que, lorsque le mariage de la comtesse de Téba fut arrêté, ce fut lui qui fut chargé de fournir au représentant de l’empereur les renseignemens nécessaires à la rédaction du contrat. Il n’est donc pas étonnant que la nomination de Mérimée comme sénateur ait été une des premières faveurs que la nouvelle impératrice ait sollicitée de son époux, et, à tout prendre, il n’est pas bien choquant que de son côté Mérimée, homme de lettres, étranger à la politique, ait accepté sans se faire prier une faveur qu’il n’avait point sollicitée et dont la brusque annonce (il était le matin à sa toilette lorsqu’il reçut l’avis officiel) ne laissa pas, m’a dit un témoin oculaire, de le surprendre et même de l’embarrasser. Mais les passions politiques étaient alors fort surexcitées dans le milieu où Mérimée avait habituellement vécu, et il n’est pas non plus très étonnant que la chose y ait été assez mal prise. Mérimée ne fit rien de ce qu’il fallait pour parer au scandale, et son attitude se ressentit de ce fond d’invincible timidité qui était dans son caractère. Au lieu d’annoncer sa nomination, dès qu’il en fut informé, comme une chose toute naturelle, et en le prenant de très haut avec ceux qui y trouveraient à redire, il laissa le Moniteur l’apprendre au public sans en avoir prévenu personne. Je tiens de source certaine que la veille il passa toute sa soirée dans un salon très hostile au nouveau régime sans dire un seul mot de ce que tout le monde allait savoir le lendemain, et que même, reconduisant jusqu’à sa porte une des personnes qui avaient assisté avec lui à cette soirée, il parla avec elle de l’empereur en termes assez dédaigneux. Dans de telles circonstances, la nomination de Mérimée parut à beaucoup