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honneur à un programme d’opposition, laisser disparaître du budget les 80 millions sans savoir comment on entendait remplacer cette ressource, sur quoi on comptait désormais faire reposer l’équilibre des finances ? De plus, la loi qui a été votée par la chambre des députés est au moins étrange. Elle enchaîne gratuitement l’avenir ; elle décrète une suppression définitive de taxe à une échéance lointaine, sans qu’on puisse prévoir ce qui se passera d’ici à quatre ans, quelles seront les nécessités financières à une époque où la chambre actuelle elle-même aura disparu. C’est ce qu’on peut appeler une œuvre assez vaine. Le sénat était évidemment dans son rôle d’assemblée prudente et vigilante en se faisant le gardian du budget et des principes financiers, en acceptant la suppression réalisable pour le moment et en refusant d’engager l’avenir.

L’erreur de M. Depretis a été de se hâter de prendre parti contre cette décision du sénat et pour le droit absolu de l’assemblée élective, au risque d’aggraver lui-même un conflit qu’il fallait au contraire s’efforcer de pallier ; il a cru sans doute intéresser l’orgueil de la chambre à la fortune de son ministère. Malheureusement pour lui, il n’a pas tardé à s’apercevoir qu’il avait fait un faux calcul, qu’il allait trouver, au lieu de l’appui qu’il attendait, l’alliance de toutes les hostilités et de tous les mécontentemens qui ne manquent pas dans la chambre. Les uns, les membres de la droite, restaient fidèles à leurs traditions, à leurs opinions, en approuvant le vote du sénat ; les autres, des membres de la gauche, appartenant à la majorité, partisans de l’abolition de l’impôt sur la mouture, mais mal disposes pour M. Depretis et pour ses collègues, n’ont pas laissé échapper l’occasion d’infliger un échec au ministère. Beaucoup de députés n’ont vu aucune raison sérieuse de pousser à bout un conflit inutile ou dangereux. Il en est résulté un vote qui en définitive a reconnu le droit du sénat et qui du même coup a renversé M. Depretis. C’est l’œuvre d’une coalition de la droite et des dissidens de la gauche. La difficulté était de reconstituer un ministère dans cette confusion. La droite, qui a pour chef M. Sella, se trouvait trop visiblement en minorité pour être rappelée en ce moment au pouvoir, et c’est ainsi que M. Cairoli s’est vu ramené à la présidence du conseil. M. Cairoli a commencé par se tirer d’affaire en divisant la question, en demandant à la chambre de sanctionner ce que le sénat avait voté, la suppression de la taxe sur le maïs, et en réservant pour une loi nouvelle et distincte la suppression générale de l’impôt sur la mouture. C’est la solution du moment qui peut suffire pour quelques mois, pour le temps des vacances ; mais il est bien évident qu’à la rentrée des chambres M. Cairoli se trouvera dans des conditions plus précaires que jamais, avec une majorité divisée et difficile à reconstituer. Porté au pouvoir par une coalition, il sera menacé par les coalitions, par les scissions qu’il semble peu propre à dominer, devant