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palais une lettre de compliment au célèbre musicien Paesiello sur l’opéra de Proserpine qu’il venait de donner à Paris. Bonaparte se montrait fort jaloux d’attirer ici tous les gens distingués de tous les pays, et il les payait très largement.

Peu de temps après, la rupture entre la France et l’Angleterre éclata, et l’ambassadeur, anglais, devant la porte duquel se rassemblait tous les jours une grande foule de monde pour se rassurer ou s’inquiéter selon les préparatifs de départ qu’on pourrait apercevoir dans sa cour, partit tout à coup. M. de Talleyrand porta au sénat une communication des motifs qui forçaient à la guerre. Le sénat répondit qu’il ne pouvait qu’applaudir à la modération unie à la fermeté du premier consul, et il envoya une députation qui porta à Saint-Cloud tes témoignages de sa reconnaissance et de son dévoûment. M. de Vaublanc, parlant au corps législatif, dit avec enthousiasme : « Quel chef des nations montra jamais un plus grand amour pour la paix ! S’il était possible de séparer l’histoire des négociations du premier consul de celle de ses exploits, on croirait lire la vie d’un magistrat paisible qui n’est occupé que des moyens d’affermir la paix. » Le tribunat émit le vœu qu’il fût pris des mesures énergiques, et après ces différens actes d’admiration et de soumission la session du corps législatif se termina.

Ce fut alors que nous vîmes paraître pour la première fois ces notes violentes et injurieuses contre le gouvernement anglais, qui se multiplièrent tant dans la suite, et qui répondaient avec trop de soin aux articles des feuilles périodiques et libres qui courent chaque jour à Londres. Bonaparte dictait souvent le fond de ces notes que M. Maret rédigeait après ; mais il en résultait que le souverain d’un grand empire se mettait en quelque sorte en défi de paroles avec des journalistes, et manquait à sa propre dignité en se montrant trop irascible contre les railleries de ces feuilles passagères dont il eût mieux fait cent fois de dédaigner les attaques. Il ne fut pas difficile aux journalistes anglais de savoir à quel point le premier consul, et un peu plus tard l’empereur de France, était blessé des plaisanteries qu’ils se permettaient sur son compte, et alors ils redoublèrent d’activité pour le poursuivre. Combien de fois il nous est arrivé de le voir sombre et d’humeur difficile, et d’entendre dire à Mme Bonaparte que c’était parce qu’il avait lu quelque article du Courier ou du Sun dirigé contre lui ! Il essaya de soulever une sorte de guerre de plume entre les différens journaux anglais ; il soudoya à Londres des écrivains, dépensa beaucoup d’argent, et ne trompa personne ni en France ni en Angleterre. Je disais à ce sujet qu’il dictait souvent les notes du Moniteur : Bonaparte avait une singulière manière de dicter. Jamais il n’écrivait rien de sa main.