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fonder, à prendre son vrai caractère, et ce qui se passe aujourd’hui, ces incertitudes, ces ambiguïtés, ces oscillations, qui sont trop faciles à signaler, tout cela n’a rien de particulier à la république. C’est un peu l’histoire de tous les régimes qui commencent, qui ont de la peine à se faire reconnaître. C’est l’histoire de la restauration dans ses premières années ; c’est l’histoire de la libérale monarchie de 1830 dans sa période de formation. Pour tous les gouvernement naissans, il y a les mêmes phases laborieuses et ingrates, les mêmes questions, une direction, un équilibre à trouver, un personnel fidèle et actif à choisir, des contradictions à déjouer. Comme ceux qui l’ont précédée, la république, au moment d’entrer sérieusement en action, a été exposée à déplacer des intérêts, à troubler des habitudes, à rencontrer sur son chemin des hostilités ou des défiances, elle a cela de commun avec tous les régimes, et elle a aussi sans nul doute des difficultés qui viennent d’elle-même, qui naissent de son principes ou de son passé, qu’on ne peut se promettre de dominer ou d’atténuer que par une fermeté mêlée de beaucoup de modération, Le mal aujourd’hui, il faut le dire, d’un mot, c’est que le gouvernement n’a peut-être pas toujours un sentiment suffisant de sa force, et faute de ce sentiment supérieur il est trop souvent à la merci des incidens qui se succèdent, des influences qui le pressent. Là où il pourrait agir avec autorité il se croit obligé de payer rançon à l’esprit de parti, de transiger avec les importunités bruyantes. Il rachète la fermeté qu’il sait déployer quelquefois dans les circonstances décisives par des concessions qu’il juge inévitables, par une sorte de tolérance tacite pour des excentricités dont il ne méconnaît pas lui-même le danger, Sa plus grande préoccupation est surtout de ne pas paraître, trop conservateur, d’imprimer à ses actes comme à ses choix de fonctionnaires un caractère républicain, de désarmer les susceptibilités républicaines, et c’est précisément parce que cette politique a de singuliers ménagemens qu’on est encore assez souvent réduit à se demander où nous allons, quelle est la république qui finira par sortir de tout cela. Au fond le ministère n’a pour sûr que des idées suffisamment modérées, et il ne reconnaît, il n’admet, quant à lui, que la république définie, organisée par la constitution. Dans tout ce qu’il fait pour renouveler l’administration, il a l’intention de rester conciliant, d’éviter toute réaction outrée, et M. le garde des sceaux disait récemment devant le sénat : « Je sais que les hommes de notre âge ont passé par trop de péripéties politiques pour qu’il soit possible de faire de leurs opinions anciennes un motif d’ostracisme… » Oui, sans doute, le ministère parle ainsi, et ce qu’il dit, il le pense ; mais il a ses obsessions incessantes, ses illusions, et jamais le danger de l’esprit de parti n’apparaît mieux qu’à l’occasion de ces questions de personnel qui sont venues récemment se résumer et se concentrer dans cette triste affaire du renouvellement du conseil d’état.