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CHAPITRE II. (1803.)
Retour aux habitudes de la monarchie. — M. de Fontanes. — Mme d’Houdetot. — Bruits de guerre. — Réunion du corps législatif. — Départ de l’ambassadeur d’Angleterre. — M. Maret. — Le maréchal Berthier. — Voyage du premier consul en Belgique. — Accident de voiture. — Fêtes d’Amiens.


À ce léger orage près, l’hiver se passa paisiblement. Quelques institutions nouvelles marquèrent encore le retour de l’ordre. Les lycées furent organisés, on redonna des robes et quelque importance aux magistrats. On réunit tous les tableaux français au Louvre sous le nom de Muséum, et M. Denon fut chargé de la surintendance de ce nouvel établissement. Des pensions et des récompenses commencèrent à être accordées à des gens de lettres, et pour ce dernier article M. de Fontanes était souvent consulté. Bonaparte aimait à causer avec lui ; ces conversations étaient en général fort amusantes. Le consul se plaisait à attaquer le goût pur et classique de M. de Fontanes, et celui-ci défendait nos chefs-d’œuvre français avec une grande force qui lui donnait aux yeux des assistans la réputation d’une sorte de courage. Car il y avait déjà dans cette cour des gens si façonnés au métier de courtisan qu’on leur paraissait un vrai Romain quand on osait encore admirer Mérope ou Mithridate, puisque le maître avait déclaré qu’il n’aimait ni l’un ni l’autre de ces ouvrages. Et cependant il paraissait s’amuser fort de ces controverses littéraires. Il eut même un moment l’intention de se procurer le plaisir d’en avoir deux fois par semaine, en faisant inviter certains hommes de lettres à venir passer la soirée chez Mme Bonaparte. M. de Rémusat, qui connaissait à Paris un assez bon nombre d’hommes distingués, fut chargé de les réunir au château. Quelques académiciens et quelques littérateurs connus furent donc invités un soir. Bonaparte était en bonne humeur ; il causa très bien, laissa causer, fut aimable et animé ; moi, j’étais charmée qu’il se montrât tel. J’avais fort le désir qu’il plût à ceux qui ne le connaissaient pas, et qu’il détruisît, en se montrant davantage, certaines préventions qui commençaient à naître contre lui. Comme, lorsqu’il le voulait, le tact de son esprit était très fin, il démêla entre autres assez vite la nature de <celui du vieil abbé Morellet[1], homme droit,

  1. L’abbé Morellet, très lié avec Mme d’Houdetot fit Mme de Vergennes, était l’abbé de ce nom, fort connu à la fin du XVIIIe siècle, et que Voltaire appelait l’abbé Mord-les. Il est mort le 12 janvier 1819. (P. R.)