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la saison des pluies[1]. » Il y a plus : il a été constaté que la plus grande analogie existe entre le climat malsain de la Guyane et celui du Darien ; faune et flore identiques, même rareté d’habitans ; même sol de glaise et cailloux ; puis, à une faible profondeur, de la diorite très dure en bancs très épais, gneiss, porphyre, basaltes, agglomérat argileux très difficile à déplacer, non en raison de sa dureté, mais de sa mollesse.

Il est utile de dire ici que plusieurs tracés avaient été étudiés avant l’arrivée du commandant Selfridge au Darien, tracés qui furent tour à tour patronnés par Alexandre de Humboldt en Allemagne, par MM. Densbury, Thomas Page, le vice-amiral Elliot et Charles Fox en Angleterre, par M. le président Mosquera en Colombie, par M. L. Kelley à New-York, en France par MM. Michel Chevalier, Henri Bionne, lieutenant de vaisseau, et même par Napoléon III[2]. Enfin, de nos jours, le Darien vient encore d’être exploré par des hommes spéciaux, courageux, placés sous la direction de M. Lucien N.-B. Wyse et A. Reclus ; trois d’entre eux, dont l’un le brave capitaine Bixio, de l’état-major italien, ont déjà payé de la vie, dans ces régions malsaines, leur dévoûment à la science géographique.

Si, patronné par les hommes considérables — à divers titres — que nous venons de citer, le passage par le Darien n’est pas aujourd’hui en pleine exploitation, c’est qu’indépendamment des troubles politiques qui se sont succédé depuis trente ans dans les deux mondes, il s’est produit des obstacles matériels et financiers très difficiles sinon impossibles à vaincre. Du reste, pour réduire à néant cette foule de projets désormais sans valeur, le commandant Selfridge s’est astreint à des travaux énormes ; il a dû chaîner la distance de494 milles, niveler 368 milles au niveau à bulle d’air

  1. Note sur le fleuve du Darien et sur les différens projets de canaux interocéaniques, par M. Jules Flachat, ingénieur civil.
  2. En Angleterre et dans sa prison de Ham, Louis Bonaparte s’intéressa beaucoup au projet d’ouvrir un passage par le Nicaragua entre les deux océans ; En 1853, devenu Napoléon III, il adressa à ce sujet, à Londres, à une compagnie interocéanique présidée par M. Charles Fox, les paroles suivantes : « J’ai appris, messieurs, avec le plus vif intérêt la nouvelle de la formation d’une compagnie importante pour les deux océans. Je ne doute pas que vous réussissiez dans cette entreprise, qui doit rendre de si grands services au monde entier, puisque la compagnie compte à sa tête des hommes si distingués. J’apprécie depuis longtemps tous les avantages de la réunion des deux mers ; car, étant en Angleterre, j’ai taché d’attirer sur ce sujet l’attention des hommes de science. Vous pouvez donc être assurés, messieurs, que vous trouverez en moi tout l’appui que méritent de si nobles efforts. Je suis heureux d’avoir reçu votre honorable députation, après celle du haut commerce de Londres ; elle m’a exprimé hier les plus sympathiques sentimens pour le maintien de la paix, sentimens qui n’ont jamais cessé d’être les miens. » On sait ce qu’ont duré ces sentimens de paix !