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fut transformé en forteresse ; et lorsqu’au Xe siècle, les évêques de Fréjus firent entourer d’une nouvelle enceinte la ville à peine renaissante, presque tous les monumens de l’époque romaine furent affectés à cette inutile et regrettable reconstruction. Le port de Fréjus était perdu pour toujours ; car on ne pouvait appeler de ce nom un marais à peine navigable, au milieu duquel divaguaient les eaux de l’Argens et du Reyran. Comme Ravenne, Ostie, Narbonne et Aigues-Mortes, le port de César a subi la loi fatale de l’envasement. Une plaine basse et marécageuse le sépare à jamais de la mer ; et le seul avenir qui reste à la pauvre bourgade est de cultiver quelques jardins à la place même où, dix-huit siècles auparavant, venaient mouiller les trois cents galères conquises par Octave à la bataille d’Actium.

La baie de Fréjus est ouverte au sud-ouest. Le rivage dessine une ellipse très allongée dont les deux extrémités sont à l’est le petit port de Saint-Raphaël, à l’ouest l’embouchure de l’Argens près des rochers de Saint-Aigour. Le fond de la baie s’avance lentement. L’action des courans littoraux se fait sentir principalement dans la direction de l’est à l’ouest ; mais la petite rade qui s’étend au-dessus de Saint-Raphaël est à l’abri des atterrissemens qui ont ruiné le port antique.

Cette situation a éveillé chez quelques esprits désireux de ressusciter l’œuvre des Romains l’idée de recreuser l’ancien port de Fréjus, éloigné aujourd’hui de près de 2 kilomètres du rivage, à l’aide d’un canal largement ouvert, entièrement différent du chenal des premiers siècles, qui partirait de la ville même et viendrait déboucher dans les eaux claires de Saint-Raphaël. Au point de vue purement technique, cette entreprise ne présente certainement pas de difficultés insurmontables, et il est certain qu’on pourrait très bien réunir les eaux de l’Argens et du Reyran dans un seul lit, les rejeter à l’ouest en temps de crue, les utiliser pendant la majeure partie de l’année pour l’amélioration de la plaine d’alluvions qui s’étend au sud de Fréjus et transformer ainsi cette plaine en jardins et en terres arables d’une très grande fécondité. Mais, si une entreprise agricole de cette nature est de celles dont le résultat dépend de la volonté persévérante de l’homme, il n’en est pas de même de la résurrection d’un port militaire ou de commerce mort depuis plusieurs siècles. On ne crée pas aussi facilement un centre d’activité maritime. Le port de Saint-Raphaël d’ailleurs suffit très largement à toutes les exigences de la navigation dans la baie de Fréjus. Quelques travaux d’amélioration ou de recreusement, le prolongement du môle, la construction d’un épi destiné à contenir les eaux du petit torrent de la Garonne, sont tout ce que l’on peut et doit faire