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rappelait par ses dispositions principales le célèbre édifice élevé à l’entrée du port d’Alexandrie, Tout le monde sait que ce monument prodigieux était construit dans la petite île de Pharos, d’où il a tiré son nom, Φαρος, phare, pour le donner à tous les édifices du même genre créés après lui et que, ruiné par un tremblement de terre en 1303, il ne nous a laissé que des vestiges insignifians et même un peu contestés. Cette merveille de l’ancien monde était considérée comme le triomphe de l’art de l’ingénieur et de l’architecte ; et César lui-même, ordinairement assez froid et peu disposé à prodiguer son admiration, en parle dans des termes presque enthousiastes ; D’après les témoignages de plusieurs auteurs, Pline, Josèphe, Edrisi, etc., sa hauteur dépassait 100 et peut-être 150 mètres ; et, bien qu’il faille un peu se méfier de l’exactitude des chiffres donnés par les textes anciens, il n’est pas impossible que Ptolémée ait cédé à la tentation de surpasser les Pharaons en donnant à cette tour prodigieuse des dimensions supérieures à celle des Pyramides.

Ce qu’il y a de certain, c’est que les plus beaux phares de l’antiquité étaient construits sur ce modèle, presque toujours cité comme le type supérieur dont on ne pouvait jamais approcher. Tel était entre autres celui que Caligula fit construire à Boulogne à la suite de cette folle expédition qu’il prépara sur le bord de l’Océan, où il s’avança à la tête de son armée, avec un grand appareil de balistes et autres machines de guerre. Personne, raconte Suétone, ne soupçonnait son dessein, lorsque subitement il ordonna à ses soldats de ramasser des coquillages, qui étaient, disait-il, des dépouilles de l’Océan dignes d’être portées au Capitole et au Palatin. Comme témoignage de cette ridicule victoire, il fit élever à une grande hauteur une tour où l’on alluma pendant la nuit des feux pour diriger la marche des navires. Ce fut le plus ancien et le plus beau phare de la Gaule.

D’après le dessin qui en a été fait peu avant sa destruction et qui nous a été conservé par un savant dominicain, le père Lequien, la tour, établie sur la falaise, devait être octogone ; chaque côté avait à la base 25 pieds, et le diamètre 70. Elle était composée de douze étages en retrait les uns sur les autres, et l’entablement supérieur de chaque étage formait une sorte de terrasse ou de promenoir. L’édifice présentait ainsi une forme pyramidale assez élégante. La construction était recherchée, composée de pierres de différentes couleurs, alternant avec des chaînes de briques qui devaient lui donner un aspect décoratif très remarquable. On sait que cette tour portait pendant le moyen âge le nom de tour de l’Ordre, turris Ordinensis, altération de turris ardens,