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l’approvisionnement de la flotte. L’état de dégradation des ruines ne permet pas de dire s’il y avait là, comme à Misène, un immense bassin d’alimentation d’eau douce. Quelques antiquaires ont pensé que ce sous- sol, dont le radier présente une pente dirigée vers le port et qui se perd dans la vase au-dessous de l’ancien niveau des eaux de la lagune, constituait une série de cales d’échouage, le long desquelles les bateaux tirés à sec auraient été complètement mis à couvert sous les voûtes dont nous venons de parler. Ce n’est là sans doute qu’une hypothèse ; elle a cependant l’avantage d’être très rationnelle et tout à fait conforme aux usages maritimes de l’époque. Quoi qu’il en soit, on ne saurait douter que les deux plates-formes n’aient été autrefois occupées par de grandes constructions affectées au service du port, et il est très naturel d’admettre que leur partie supérieure devait servir d’entrepôts et de logemens pour le matériel de la flotte et les hommes, qui en faisaient partie.

Le port, ainsi que nous l’avons dit, s’étendait au sud de la ville et n’était qu’une portion de la lagune approfondie et placée directement sous la protection des forts. Tout d’abord on l’avait établi au pied de la plate-forme, dans la partie qui semblait le moins exposée aux ensablemens de l’Argens et du Reyran. C’était là qu’était le port de César ; mais quelques crues des deux rivières en exhaussèrent bientôt le fond, et Agrippa dut faire construire un épi, puis un môle isolé, entre lesquels on fut obligé d’entretenir la profondeur au moyen de dragages incessamment renouvelés. Le remède était borné et la source du mal permanente. Au bout de deux siècles l’épi d’Agrippa fut tourné par les atterrissemens. On chercha alors à provoquer des chasses énergiques dans le port par une dérivation de l’Argens, dont on aperçoit encore les traces au nord de la citadelle ; mais les chasses ne sont jamais efficaces dans les mers sans marée, et l’envahissement qui avait eu lieu par le haut s’opéra par le bas. On fut alors réduit à entretenir d’une manière continue une passe artificielle dans l’étang. On creusa un chenal maritime large et profond, et, à mesure que de nouveaux dépôts de l’Argens exhaussaient le fond de la lagune et augmentaient la largeur de l’appareil littoral, on prolongeait ce canal jusqu’à la mer ; bientôt il fallut creuser sans cesse pour assurer le passage des bateaux du plus faible tirant d’eau. En 1660, les navires de cinquante tonneaux avaient de la peine à pénétrer dans l’étang et à remonter jusqu’à Fréjus ; quelques années plus tard, en 1700, la communication se fermait pour toujours. Depuis lors la lagune s’est transformée en marais. Aujourd’hui c’est une plaine de sable, coupée çà et là de quelques flaques d’eau.