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âgés ; mais le destin a frappé, par l’influence du climat de la contrée, un enfant de sept ans. Ses parens, son père et sa mère ont enseveli celui qu’ils avaient élevé… O vaines espérances des hommes ici-bas ! »

On ne peut manquer d’être saisi par l’expression de cette douleur vraie, résignée, tendre, bien supérieure à la sécheresse romaine et gardant encore l’empreinte de ce sentiment poétique et presque religieux qui caractérise si bien le génie de la Grèce et de l’Ionie. Le nom de Ligur, d’autre part, mérite d’être noté et n’a rien qui doive surprendre à Fréjus, sur une terre occupée pendant plusieurs siècles par une tribu ligurienne qui devait, même sous la domination de Rome, former toujours le fond de la population. A un autre point de vue enfin, il est intéressant de constater qu’à l’époque romaine les conditions climatériques de la basse plaine de l’Argens étaient assez mauvaises, et il n’est peut-être pas téméraire de conclure que les étangs, qui longeaient la ville du côté de la mer, engendraient alors, comme au moyen âge et de nos jours, des fièvres pernicieuses.

Une autre inscription, tout entière en caractères latins, a été retrouvée dans les mêmes circonstances. C’est encore une inscription funéraire et qui paraît avoir été destinée primitivement à être encastrée dans la façade d’un monument modeste comme l’inscription elle-même. Les lettres sont superficiellement gravées, peu régulières, présentent des indices très nombreux de décadence et dénotent un artiste médiocre ou négligent du IIIe et peut-être du IVe siècle après notre ère. La lecture a présenté certaines difficultés, mais les épigraphistes les plus autorisés l’ont rétablie avec une certitude presque absolue. On y lit : « A Baricbal son ami, Agrippina Prima. Il a vécu quarante ans. Son héritier a construit ce monument pour lui et pour elle. »

Cette inscription, quoique fort laconique, révèle les rapports intimes et tendres qui existaient entre ce Baricbal et sa jeune héritière. Jusqu’ici rien de bien nouveau, et des donations de cette nature et pour ce genre de services étaient fréquentes dans le monde ancien. Mais le nom de Baricbal est d’autant plus intéressant qu’il n’a rien de romain ; c’est évidemment un nom d’origine barbare et très probablement phénicienne à en juger par sa terminaison. Les deux racines hébraïques baracet ba-al lui donnent un sens très naturel : « béni de Baal ou du Seigneur ; » et tout porte à croire que le généreux testateur était quelque riche marchand, armateur de Tyr ou de Carthage, qui faisait encore le commerce à Fréjus vers le milieu du IIIe siècle et sous la protection de l’administration romaine.

On le voit donc : quelques lignes détachées de deux inscriptions presque oubliées nous permettent de retrouver à Fréjus, au milieu