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arches inégales ont été alors emportées par une crue de la rivière. Le pont de la route moderne, qui passe à quelques mètres, a pris son nom, et il ne reste plus aujourd’hui de l’un des plus anciens ouvrages de la voie Aurélienne que les amorces très reconnaissables des culées et quelques inscriptions mutilées qu’on a retrouvées dans les ruines.


II

La ville de Fréjus est située sur le versant méridional d’une petite colline de formation ancienne, presque au confluent de deux rivières, le Reyran et l’Argens.

Le premier n’est à proprement parler qu’un torrent qui ravine les gorges profondes de l’Estérel, est presque toujours à sec en été, mais se manifeste en hiver et après la saison des pluies par des crues subites et véhémentes. L’Argens, au contraire, est un véritable fleuve ; ses eaux troubles et blanches lui ont fait sans doute donner son nom Argenteum flumen. Il prend sa source dans la région ouest de la Provence, au pied de la chaîne de la Sainte-Baume, près de l’ancienne station romaine de Tegulata, aujourd’hui la Grande-Pégière (Var), traverse des terrains très meubles et, après un cours de plus de 100 kilomètres, roule à la mer une très grande quantité de sables et de limons. Ce sont les alluvions de ces deux rivières et de quelques affluens secondaires qui ont formé la plaine basse et fertile dominée par la ville de Fréjus.

Le plus simple coup d’œil jeté sur une carte locale permet de juger de la progression et de la puissance de l’atterrissement moderne. A l’origine de notre période géologique, l’Argens débouchait datas un golfe étroit, profond, véritable défilé qui a été peu à peu comblé par les apports du fleuve. Ce golfe s’enfonçait de plus de 15 kilomètres dans l’intérieur des terres ; et, si l’on avait jaugé depuis un certain nombre d’années le débit moyen de l’Argens et déterminé approximativement la proportion de matières minérales et terreuses que ses eaux contiennent en temps de crue, on pourrait connaître très exactement le taux d’avancement de la plage et préciser mathématiquement la position relative de la mer et du continent à différentes époques du passé. Ces documens nous font absolument défaut ; toutefois il est certain qu’à l’origine de notre ère la ville de Fréjus n’était pas, comme on l’a dit si souvent, sur le bord même de la mer. Le texte de Ptolémée, qui écrivait au IIe siècle après Jésus-Christ, distingue très nettement la colonie romaine des embouchures du fleuve qui se divisait en plusieurs bras et formait au-dessus de la ville une sorte de delta aux contours variables.