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à la mienne, indépendant de moi, marchant immédiatement après vous, ne me regardant qu’avec inquiétude ou peut-être même avec mépris ? Non, je n’y consentirai jamais, et plutôt que de renoncer à la royauté qui va entrer dans votre héritage, plutôt que de consentir à courber la tête devant mon fils, je quitterai la France, j’emmènerai Napoléon, et nous verrons si tout publiquement vous oserez ravir un enfant à son père ! » Il fut impossible au premier consul, malgré tout son pouvoir, de vaincre cette résistance ; il s’emporta inutilement, il lui fallut céder de peur d’un éclat fâcheux et presque ridicule, car il l’eût été sans doute de voir toute cette famille se disputer d’avance une couronne que la France n’avait point encore précisément donnée. On étouffa tout ce bruit, et Bonaparte fut obligé de rédiger son hérédité, et la possibilité de l’adoption qu’il se réserva, dans les termes qu’on trouve dans le décret relatif à l’élévation du consul à l’empire.

Ces discussions animèrent, comme on peut le croire, la haine qui existait déjà entre les Bonaparte et les Beauharnais. Les premiers les envisagèrent comme la suite d’une intrigue de Mme Bonaparte. Louis se montra encore plus sévère que par le passé dans la défense qu’il renouvela à sa femme d’avoir aucune relation intime avec sa mère : « Si vous suivez ses intérêts aux dépens des miens, lui disait-il durement, je vous déclare que je saurai vous en faire repentir ; je vous séparerai de votre fils, je vous claquemurerai dans quelque retraite éloignée dont aucune puissance humaine ne pourra vous tirer, et vous payerez du malheur de votre vie entière votre condescendance pour votre propre famille. Et surtout gardez qu’aucune de mes menaces parvienne aux oreilles de mon frère ! Sa puissance ne vous défendrait pas de mon courroux. »

Mme Louis pliait la tête comme une victime devant une pareille violence. Elle était grosse à cette époque ; le chagrin et l’inquiétude altérèrent sa santé, qui dès lors ne se remit plus. On vit disparaître sa fraîcheur, qui était le seul agrément de son visage. Elle avait une gaîté naturelle qui s’effaça pour toujours. Silencieuse, craintive, elle se gardait de confier ses peines à sa mère dont elle craignait l’indiscrétion et la vivacité. Elle ne voulait pas non plus irriter le premier consul. Celui-ci lui savait gré de sa réserve, car il connaissait son frère, et devinait les souffrances qu’elle avait à supporter. Il ne laissa depuis ce temps échapper aucune occasion de témoigner l’intérêt, et je dirai plus, une sorte de respect que la douce et sage conduite de sa belle-fille lui inspira. Ce que je dis là ne ressemble guère à l’opinion qui s’est malheureusement établie sur cette femme infortunée ; mais ses vindicatives belles-sœurs ne laissèrent échapper aucune occasion de la flétrir par les plus odieuses calomnies, et comme elle portait le nom de Bonaparte, le