Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/639

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’hérédité, quoiqu’il abordât déjà quelquefois la question du divorce, cependant, soit qu’il eût encore un trop grand attachement pour sa femme, soit que les relations présentes avec l’Europe ne permissent point d’espérer une de ces alliances qui auraient fortifié sa politique, parut pencher alors à ne point rompre son mariage, et à adopter le petit Napoléon, qui se trouvait en même temps son neveu et son petit-fils.

Sitôt qu’il eut laissé entrevoir ce projet, sa famille éprouva une extrême inquiétude. Joseph Bonaparte osa lui représenter qu’il n’avait pas mérité d’être dépossédé des droits qu’il allait acquérir, comme frère aîné, à la couronne, et il les soutint comme s’ils étaient réellement avérés depuis longtemps. Bonaparte, que la contradiction irritait toujours, s’emporta, et ne parut que plus décidé dans son plan ; il le confia à sa femme, qu’il comblait de joie, et qui m’en parlait en envisageant son exécution comme le terme de ses inquiétudes. Mme Louis s’y soumit sans montrer aucune satisfaction ; elle n’avait pas la moindre ambition, et même elle ne pouvait se défendre de craindre que cette élévation n’attirât quelque danger sur la tête de son enfant. Un jour, Bonaparte, entouré de sa famille, tenant le jeune Napoléon sur ses genoux, tout en jouant avec lui et le caressant, lui adressait ces paroles : « Sais-tu bien, petit bambin, que tu cours risque d’être roi un jour ? — Et Achille[1] ? dit aussitôt Murat qui se trouvait présent. — Ah ! Achille, répondit Bonaparte, Achille sera un bon soldat. » Cette réponse blessa profondément Mme Murat ; mais Bonaparte ne faisant pas semblant de s’en apercevoir, et piqué intérieurement de l’opposition de ses frères qu’il croyait, avec raison, excitée surtout par Mme Murât, Bonaparte, continuant d’adresser la parole à son petit-fils : « En tout cas, dit-il encore, je te conseille, mon pauvre enfant, si tu veux vivre, de ne point trop accepter les repas que t’offriront tes cousins. »

On conçoit quelle violente aigreur devaient inspirer de semblables discours. Louis Bonaparte fut dès lors environné de sa famille ; on lui rappela adroitement les bruits qui avaient couru sur la naissance de son fils ; on lui représenta qu’il ne devait point sacrifier les intérêts des siens à celui d’un enfant qui d’ailleurs appartenait. à moitié aux Beauharnais, et, comme Louis Bonaparte n’était pas si peu capable d’ambition qu’on l’a voulu faire croire depuis, il alla, ainsi que Joseph, demander au premier consul raison du sacrifice de ses droits qu’on voulait lui imposer : « Pourquoi, disait-il, faut-il donc que je cède à mon fils ma part de votre succession ? Par où ai-je mérité d’être déshérité ? Quelle sera mon attitude, lorsque cet enfant, devenu le vôtre, se trouvera dans une dignité très supérieure

  1. Achille était le fils aîné de Murat.