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aboutir, selon qu’ils seront plus ou moins développés et que la soudure sera plus ou moins complète, soit à une seule conscience, soit à deux. Mais ici encore il y a des centres virtuels de conscience qui peuvent tantôt se développer parallèlement, tantôt s’entraver l’un l’autre, si bien qu’un seul se développe et que l’autre demeure virtuel. M. Espinas conclut avec un peu de précipitation, ce semble, que la génération est « un phénomène de scissiparité transporté dans la conscience. » Scissiparité dans l’organisme, dont les diverses parties renfermaient des consciences élémentaires, soit ; mais scissiparité dans la conscience personnelle du père ou de la mère, c’est ce qui demeure fort hypothétique. On peut, il est vrai, invoquer à l’appui de cette hypothèse les phénomènes d’hérédité et d’atavisme, qui font reparaître chez les enfans les traits reconnaissables du caractère de leurs aïeux, comme si les consciences des enfans étaient des fragmens détachés de la conscience des pères ; mais ces phénomènes s’expliquent suffisamment par l’empreinte que les germes ont nécessairement reçus de l’organisme où ils furent élaborés. Il suffit, pour qu’un être en reproduise un autre, que le premier ait vécu dans le même courant de vie que le second, dont il a pris ainsi la forme, et il n’est pas nécessaire de supposer que la conscience de l’un a fait réellement partie de la conscience de l’autre.

Au reste, M. Espinas, après avoir représenté la génération comme une scission des consciences, aboutit ensuite à affirmer la fusion ultérieure de ces mêmes consciences, l’unité finale des membres de la famille. Selon lui, nous voyons dans la famille plusieurs consciences redevenir une seule, par l’amour mutuel des membres qui les fond en un même moi. Pères, mères, enfans ne forment en réalité, pour M. Espinas comme pour M. Schaeffle et M. Jæger, qu’une individualité unique, qu’une unité en plusieurs personnes. Chez les animaux, par exemple, « le mâle et la femelle, sans cesse occupés, pendant un temps de l’année tout au moins, de représentations dont ils sont l’objet réciproque, ont à proprement parler une seule et même conscience en deux foyers correspondans. La correspondance de ces deux foyers conjugués est le lien qui fait de ces deux individualités partielles incomplètes une individualité déjà plus capable de se suffire, laquelle les embrasse toutes deux, du moins momentanément. C’est l’extension de cette société aux jeunes issus d’elle qui l’achèvera et la scellera en la perpétuant[1]. » Nous craignons que la métaphore scientifique ne soit prise ici trop au pied de la lettre ; les membres d’une même famille, dit M. Espinas, forment « à proprement parler une seule et même conscience ; »

  1. Des Sociétés animales, p. 161.