Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/594

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même temps acteurs et spectateurs du drame historique. L’idée, par leur intermédiaire, se réalise en se concevant elle-même ; elle se crée des organes généraux ou particuliers ; elle s’incarne peu à peu dans la nation entière : l’inconscient, dans la société, est encore un produit de l’idée et de son action efficace, une marque laissée dans l’organisme par la conscience même, et si sa part subsiste dans les mœurs, elle diminue dans les lois. Chaque nation acquiert ainsi d’elle-même, de sa volonté propre et de son but final, une conscience de plus en plus claire.

Il nous reste à étudier cette conscience même en sa nature intime et à examiner si, en même temps qu’elle est collective, elle offre les caractères d’une conscience individuelle. Dans ce cas, la nation serait encore, comme on l’a soutenu, une sorte de personnalité, constituée non plus par une âme inconsciente, mais par une conscience proprement dite. Question ardue, où nous espérons qu’on voudra bien nous suivre. C’est une montée qui d’en bas paraît dure à gravir, mais du haut de laquelle la vue s’étend au loin.


II

La conscience, chez les êtres animés, se manifeste de deux manières et sous deux formes qu’on ne distingue généralement pas assez. En premier lieu, les diverses parties d’un organisme ont le sentiment ou, si l’on veut, la conscience plus ou moins vague du tout qu’elles forment ; dans un annelé, par exemple, chaque anneau sent, puisque, après avoir été séparé des autres, il continue de sentir, et il sent le tout, puisque le mal fait au tout se transmet jusqu’à lui ; les divers membres de l’animal ont donc, sous la forme de sensations sympathiques, la conscience obscure de leur solidarité. En second lieu, dans chaque être animé, le tout a le sentiment ou la conscience plus ou moins claire de lui-même : par exemple, la tête d’un annelé est le siège d’une conscience centralisée, qui est celle de l’animal entier, et chez les vertébrés supérieurs cette conscience aboutit, en se réfléchissant, à l’idée du moi.

La première espèce de conscience, celle qui est diffuse et dispersée en toutes les parties de l’organisme, existe évidemment dans les sociétés. Ce qui constitue même une société à proprement parler, c’est précisément la conscience que les parties ont du tout qu’elles forment. Encore vague dans les simples peuplades, cette conscience existe à son plus haut degré dans les membres d’une nation, car chacun, outre la connaissance qu’il a de soi, a la connaissance des autres et de la nation elle-même ; bien plus, il sent plus ou moins, le bien de tous comme son bien propre ; enfin il veut ce bien, il veut la nation comme il se veut lui-même. Rassemblez