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humaine, on pourra parer à toutes les éventualités et étonner le peuple par la profondeur des conceptions. Ces apôtres du socialisme, de l’internationalisme, du collectivisme se réunissent régulièrement pour échanger ce qu’ils appellent des idées. Le jeudi me paraît être leur jour préféré ; ils ne se cachent point, ils sont abordables, les oisifs de Londres peuvent aller les entendre à la taverne du duc d’York ; chaque séance donne lieu à un procès-verbal. L’ensemble des procès-verbaux constitue la loi future ; il n’est ni difficile, ni coûteux de se les procurer. Le nombre des assistans varie selon les circonstances. Parmi les plus assidus, je trouve Antoine Arnaud et Jean-Baptiste Clément, de la commune, Vinot, colonel, commandant l’École militaire, Maujean, chef du visa au trésor, Letailleur, secrétaire général aux relations extérieures, N. Rousseau, du comité central, Langlois, qui a appartenu à une commission de l’octroi. Dardelle y fait quelques rares apparitions, puis il y a des inconnus, d’humbles « proscrits » qui viennent s’abreuver aux sources mêmes de la science économique, et parfois aussi des voyageurs curieux, — j’en connais, — qui savent le chemin de Bennett street. Ce groupe n’a pas l’ampleur de la commune révolutionnaire, mais il ne manque pas d’originalité, et il représente l’académie des sciences morales et politiques de la contumacerie.

Il serait fastidieux de reproduire toutes les insanités sur lesquelles on dispute : le résumé des procès-verbaux des derniers mois de 1878 est suffisant pour donner au lecteur une idée très nette de ce genre tout spécial d’aberrations. Le 2 mai, après avoir décidé que l’on fusillerait ceux qui ne se soumettraient pas à la révolution, on s’occupe du capital. On s’en empare ; mais comment parviendra-t-on à forcer « les bourgeois » à « restituer » leur argent ? C’est bien simple : on fera une nouvelle effigie pour frapper la monnaie ; toute pièce qui ne portera point cette effigie sera refusée, et les propriétaires des « anciennes effigies » seront tenus de les verser à un endroit désigné. Le 9 mai, on pense aux beaux-arts, dont il convient de développer le goût dans le peuple ; grosse question, qui est très rapidement résolue : les riches, n’ayant plus d’hôtels, n’auront plus de murs pour y accrocher des tableaux ; les tableaux diminueront immédiatement de valeur, et on en formera des musées pour la récréation des prolétaires. — Par-ci par-là, on lâche de bons aphorismes : « L’épargne, c’est le vice. » Le 13 juin, un orateur nommé Lassassie est d’avis que l’émancipation de la femme est une question primordiale. Et l’enfant ? Ceci mérite méditation ; on remet à quinzaine pour la solution qui apparaît le 4 juillet : « Dans la société future, il n’y aura pas d’état ; il y aura quelque chose qui se chargera de l’enfant, mais on ne sait pas comment cette chose