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sectaire. L’auteur voit les choses sous le jour spécial de son opinion et les apprécie en conséquence, ce qui est son droit indiscutable. Lorsqu’il commet une erreur, il paraît se tromper de bonne foi et ne mentir, comme les autres, de volonté préconçue. Les faits n’y sont point racontés sans passion, mais le plus souvent ils sont exacts et concordent avec la vérité. M. Lissagaray y met de la dignité, et il accepte nettement la responsabilité des actes coupables que les apologistes de la commune ont tenté et tentent plus que jamais de rejeter sur « la réaction. » L’Hôtel de Ville, le Palais-Royal, la préfecture de police, la Légion d’honneur, la rue Vavin, le Palais de Justice, la rue Royale ne sont pas brûlés par d’autres que par les fédérés ; il a le courage de le dire et il faut l’en louer ; cela seul assure à son travail la valeur d’un document à consulter[1]. Lui, non plus, il n’est pas indulgent pour la commune, qu’il accuse de faiblesse et d’indécision ; selon lui, elle est frappée d’une attaque de délibération chronique et en meurt ; au lieu d’agir, elle discute ; Rossel le lui a déjà reproché. Elle a manqué d’énergie en ne s’emparant pas de toutes les ressources financières de Paris ; elle a manqué d’esprit politique en ne sachant pas tirer un parti suffisant des découvertes d’ossemens dans les chapelles sépulcrales et des autres « mystères de Picpus. » En résumé, l’opinion de M. Lissagaray semble être que la commune n’était composée que de gens incapables ; il les a vus de près, il les a vus à l’œuvre, et son jugement sur ce point est conforme à ce qui ressort invinciblement de l’étude des faits.

Les communards ne se sont point contentés de fabriquer des journaux et d’écrire des histoires y ils ont péniblement rédigé des programmes dans lesquels ils ont cristallisé le précipité de leurs théories. Ils se sont naturellement divisés en groupes distincts, obéissant à la loi des affinités électives et se juxtaposant selon leurs tendances ou leurs opinions. Jacobins, blanquistes, hébertistes, économistes, internationalistes se sont séparés, s’éloignant les uns des autres, se soupçonnant, s’injuriant et formant de petites églises hostiles où les fidèles seuls avaient le droit de pénétrer. Dans ce monde, plein de justes défiances, où la loi des suspects est toujours

  1. Sur deux points, M. Lissagaray commet une grave erreur. Il dit que, dans la rue Royale, Brunel a fait incendier les maisons occupées par des tirailleurs de l’armée de Versailles. Toutes les maisons incendiées dans la rue Royale étaient situées entre deux barricades tenues par les fédérés. Elles furent allumées le mardi 23, entre quatre et cinq heures de l’après-midi ; les troupes ne s’en emparèrent que le mercredi 24, entre six et sept heures du matin. En outre, M. Lissagaray attribue l’incendie des docks de la Villette au feu des batteries françaises, il se trompe ; les incendiaires de la Villette ont comparu devant la justice militaire, et la concordance des témoignages n’a laissé aucun doute sur leur culpabilité.