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n’est impossible en histoire ; il n’y a que les faits qui parlent. En tout cas, si de telles espérances étaient illusoires, l’illusion elle-même n’en était pas moins un devoir, tant que la monarchie traditionnelle était la loi du pays. Appeler un sauveur, c’était manquer en esprit à la foi constitutionnelle. Dubois ne commit pas cette faute. Ce qu’il voulait, ce n’était pas de changer de maîtres, c’était d’obtenir, sous la garantie de la loi et sans toucher au principe sacré de la royauté d’alors, le maintien d’abord, le développement ensuite des libertés publiques. Il n’y avait là rien d’incompatible, et personne n’avait droit de prétendre, sans violer la charte, qu’on ne pouvait défendre la liberté sans attaquer le trône.

Et cependant il vint un moment où Dubois lui-même, le sage, le philosophe, le défenseur de la liberté légale, l’ennemi de toute revendication violente, fut à son tour accusé et condamné. Il fut accusé de « provocation au renversement du gouvernement ; » il fut condamné à quatre mois de prison par le tribunal, et par le conseil royal de l’instruction publique à la censure universitaire. Qu’était-il arrivé ? A quel accès de colère s’était-il laissé emporter pour attirer sur lui une peine aussi sérieuse ? Le fait seul d’être traduit en justice n’était-il pas en contradiction avec l’esprit général, les principes, les tendances du journal que Dubois rédigeait ? Nous en avons la preuve sous les yeux, dans tous les articles qu’avait écrits Dubois, articles écrits, on le sait, dans la fièvre ; jamais un mot de révolte, une expression violente, une agression préméditée n’avait appelé la sévérité judiciaire. Jamais le Globe n’avait eu de procès ; c’était sur le terrain légal qu’il combattait, et toujours avec une élévation de ton et une dignité de langage qui commandaient le respect. Dubois a-t-il donc, sous le coup d’une situation nouvelle et de plus en plus critique, dépassé les droits de la liberté ? L’article incriminé était-il un acte de révolte ou un acte de libre discussion ? En le relisant à distance en toute impartialité, il paraît évident aujourd’hui que, si en certains passages l’expression dépassait quelque peu la mesure, ce que Dubois a reconnu lui-même devant le tribunal, le fond de l’article était inattaquable, et l’accusation absolument erronée. N’oublions pas d’ailleurs que la condamnation de Dubois fut en réalité un demi-acquittement, car le chef fondamental de l’accusation, la provocation, le seul d’ailleurs sur lequel Dubois se soit défendu, fut écarté par les juges. Au reste, ce célèbre article sur la France et les Bourbons a été un événement historique assez important, et il soulève d’assez grandes questions de morale et de politique pour qu’il nous soit permis d’y insister ; il fait trop d’honneur à Dubois, malgré le procès, pour le laisser oublier.