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tradition et de l’histoire, et à plus forte raison d’accepter comme légitime la faculté de ne pas croire ! Cependant la faculté de ne pas croire est la contre-partie de la faculté de croire. Si vous contestez mon droit de douter, je vous contesterai votre droit de croire. Si vous me parlez des périls du doute, je vous opposerai les excès de la foi. L’histoire nous apprend après tout que le fanatisme et la superstition ont commis plus de crimes que le doute. Tantum religio ! .. C’est donc la foi qui a le plus besoin d’invoquer la liberté de conscience : c’est elle qui devrait en plaider la cause au lieu de la condamner avec intolérance ou de la subir avec irritation.

On se demandera : Quelle sera donc la foi commune, l’unité de doctrine dans une société gouvernée par la liberté seule ? Dubois déclarait n’avoir pas à répondre à cette question. Il ne croyait pas qu’une seule foi, une seule doctrine, fût appelée à régner sur la société nouvelle, et il ne croyait pas que ce privilège pût appartenir à aucune des doctrines ou sectes, anciennes ou nouvelles, qui se disputaient alors le monde des croyances. Suivant lui, à chaque jour suffit sa peine. Le seul dogme nécessaire au XIXe siècle était celui-ci : liberté pour tous. Sans doute le spectacle d’un éparpillement général de croyances peut être pénible au philosophe ; mais c’est là le domaine de la conscience, non de la loi. C’est à la croyance à agir sur la croyance : la société n’y peut rien. D’ailleurs, si on y regarde de plus près, on verra que la liberté même constitue une unité de croyance d’un ordre supérieur à celui que quelques-uns regrettent. A quelle condition en effet a-t-on obtenu autrefois l’unité de croyance ? C’est à la condition d’exclure de l’état (et par conséquent de destituer de leur qualité d’homme) tous ceux qui ne pensaient pas comme l’état, ou de leur imposer par une contrainte extérieure une adhésion hypocrite. Croit-on par exemple qu’il n’existât pas de libres penseurs aux XVIIe siècle ? Si vraiment, et l’on voit par les fréquentes allusions des écrivains orthodoxes à quel point ils étaient nombreux : seulement ils se taisaient. D’un autre côté, les conversions forcées augmentaient encore le nombre des faux croyans. Ainsi c’était l’exclusion, le silence et l’hypocrisie qui protégeaient l’unité doctrinale dans chaque pays, ici au profit des catholiques, là au profit des protestans, c’est-à-dire en faveur de deux doctrines contradictoires qui se proscrivaient l’une l’autre ! Ceux qui réclament le plus l’unité de croyance voudraient-ils qu’elle se fît à leurs dépens et au profit du positivisme ? Le respect de toute croyance n’est-il pas aussi une croyance ? Le respect de l’homme en tant qu’homme, le respect de la raison chez tous, n’est-il pas un bien égal, sinon supérieur, à celui de tous les Credo ? Sans doute les doctrines nouvelles n’ont pas toujours eu