Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Barbe-Bleue qui transporte partout les belles au gré de leurs amans ; Walter Scott réclamera les meurtrissures de Marie Stuart ; Schiller, le joli page de don Carlos. Enfin vous ne trouverez dans la prose du novateur ni plus de verve libre et simple, ni moins de mots plaqués, que dans le solennel alexandrin du classique. »

On regrette de ne pas avoir un jugement de Dubois sur Hernani. Là du moins l’école moderne avait fait preuve d’originalité et de puissance. Un souffle nouveau animait cette œuvre étrange et paradoxale. On voudrait avoir l’opinion de ce juge intègre et perçant sur un poème dont les défauts sont si visibles que la critique a renoncé à y insister, tant ils sont connus, mais qui néanmoins exerce encore après cinquante ans une action profonde sur l’imagination. On est d’accord en littérature pour reconnaître que l’épreuve des grandes œuvres est le temps. Or ici le temps semble avoir prononcé en faveur du chef-d’œuvre romantique. Loin de nous la pensée de mettre cette œuvre sur la même ligne que celles de nos grands tragiques. Il n’y manque que deux petites choses : les caractères et la composition ; mais, cela mis à part, ne faut-il pas qu’il y ait eu là une inspiration de grand souffle pour survivre à tant de changemens de goût, et pour tenir suspendues pendant toute une soirée des foules peu sensibles à la poésie, mais qui subissent malgré elles le prestige de cette langue brillante, sonore, enflammée, d’une action romanesque et tout extérieure, mais riche en situations, en effets de théâtre, en incidens inattendus et frappans ? On a eu tort, nous le croyons, de dire autrefois que Victor Hugo n’était, même dans ses drames, qu’un poète lyrique, car on ne supporterait pas cinq actes de lyrisme au théâtre ; mais on a dit aussi, ce qui est beaucoup plus juste, que ses drames sont des opéras : l’action n’y est que prétexte à la poésie, mais il y a une action ; et c’est le mouvement de cette action, accompagnée d’une poésie tantôt haute et éclatante, tantôt douce et fascinante, mais toujours riche et colorée, c’est ce mouvement extérieur qui fait illusion sur le vide de la pensée. Ces qualités brillantes suffiront-elles, malgré ces graves défauts, à sauver dans l’avenir cette œuvre remarquable ? On ne saurait le dire. Sans aucun doute, si l’on devait voir renaître parmi nous une grande poésie dramatique, où la connaissance du cœur humain serait le fond et la langue poétique ne serait que la forme, Hernani et le théâtre de Victor Hugo passeraient bien vite à l’état archéologique. Mais si au contraire, comme il est malheureusement probable, nous sommes condamnés à voir disparaître la poésie du théâtre, si le drame en prose mêlé de comédie devient la forme exclusive de l’art dramatique, si la peinture soi-disant fidèle de la réalité devient le type obligatoire de tout écrivain de théâtre, on peut affirmer