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et d’après aussi ce que j’ai écrit précédemment[1]. de leur manière d’être la plus intime, c’était me préparer à beaucoup de mécomptes, et certes ils ne m’ont pas manqué.

J’ai déjà dit quelles relations nous avions eues avec Mme Bonaparte pendant l’expédition en Égypte. Depuis, nous la perdîmes de vue, jusqu’au moment où ma mère, ayant formé le projet de marier ma sœur avec un de nos parens[2], rentré secrètement et encore compris sur la liste des émigrés, s’adressa à elle pour obtenir sa radiation. L’affaire fut terminée en peu de temps. Mme Bonaparte, dont la bienveillante adresse s’efforçait alors de rapprocher de son époux les personnes d’une certaine classe encore en regard devant lui, engagea ma mère et M. de Rémusat à se rendre un soir chez elle pour remercier le premier consul. Il n’était pas possible de songer à s’en excuser. Un soir donc, nous nous rendîmes aux Tuileries ; c’était peu de temps[3] après le jour où Bonaparte avait cru devoir s’y établir : jour où j’ai su depuis, de sa femme même, qu’au moment de se coucher il lui dit en riant : « Allons, petite créole, venez vous mettre dans le lit de vos maîtres. »

Nous le trouvâmes dans le grand salon de l’appartement du rez-de-chaussée ; il était assis sur un canapé ; à ses côtés, je vis le général Moreau, avec lequel il paraissait en grande conversation. L’un et l’autre à cette époque cherchaient encore à vivre bien ensemble. On citait même un mot de Bonaparte fort aimable, dans un genre de bonne grâce qui ne lui était pas très familière. Il avait fait faire une paire de pistolets très riches, sur laquelle on avait gravé en or les noms de toutes les batailles de Moreau. — « Pardonnez, lui dit Bonaparte en les lui donnant, si on ne les a pas plus ornés ; les noms de vos victoires ont pris toute la place. »

Il y avait dans ce salon des ministres, des généraux, des femmes presque toutes jeunes et jolies : M, ne Louis Bonaparte[4], Mme Murat, qui venait de se marier et qui me parut charmante, Mme Maret, qui

  1. Les détails rappelés ici sont donnés dans une sorte d’introduction où l’auteur retrace les portraits des membres de la famille impériale, et qui est plutôt une conclusion qu’une préface. La manière dont cet écrit a été composé explique cette interversion. Il m’a paru logique de commencer ces extraits destinés à la Revue par le chapitre premier, et de réserver ces portraits pour la publication plus complète de ces Mémoires. (Paul de Rémusat.)
  2. Ce parent émigré était M. Charles de Ganay, fils d’une sœur de M. Charles Gravier de Vergennes, et cousin germain de l’auteur de ces Mémoires. Il a été député et colonel dans la garde royale sous la restauration. Je ne sais quelle raison fit manquer son mariage avec Mlle Alix de Vergennes, qui épousa peu de temps après le général Nansouty. Les liens de bonne amitié entre les deux branches de la famille n’en subsistèrent pas moins et se sont très heureusement perpétués. (P. R.)
  3. C’est le 19 février 1800 (30 pluviôse an VIII) que le premier consul prit possession des Tuileries, un peu plus tôt par conséquent qu’on ne le dit ici (P. R).
  4. Hortense de Beauharnais avait épousé Louis Bonaparte le 4 janvier 1802. (P.R.)