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Pascal, que Condorcet mutilait bien autrement que Port-Royal, sur Polyeucte, où on ne pardonnait au héros chrétien qu’à cause de Sévère, sur Corneille en général, que l’on sacrifiait sans hésiter à Racine, sur Lucrèce absolument sacrifié à Virgile, etc, ; on verra qu’un ensemble de préjugés et d’ignorance y avait peu à peu réduit le domaine classique à je ne sais quoi de court, de maigre et de pauvre, non moins contraire à la tradition qu’à la nouveauté. On peut donc dire sans paradoxe qu’à un certain point de vue, c’est l’école romantique qui nous a rendu le sentiment des grandes beautés classiques.

Dans cette lutte mémorable, Dubois se montra des plus vifs en faveur des théories émancipatrices. Sévère pour les œuvres nouvelles (car un journal n’a pas tous les jours à signaler des chefs-d’œuvre), il était large en matière de doctrine. Les beautés récemment découvertes des littératures étrangères trouvaient en lui un juge aussi pénétrant qu’éclairé. Il plaida la cause de la nouveauté et de l’audace sans sacrifier celle du goût ; et le programme de sa critique se trouve l’expression singulièrement vive et juste de ce qui, encore aujourd’hui, peut être accepté comme le résultat le plus clair et le plus certain de toute la querelle : « Il nous reste, dit-il, à parler de nos doctrines littéraires… Deux mots suffisent : liberté et respect du goût national. Nous n’applaudirons pas à ces écoles de germanisme et d’anglicisme qui menacent jusqu’à la langue de Racine et de Voltaire, et nous ne nous soumettrons pas aux anathèmes d’une école vieillie, qui n’oppose à l’audace qu’une admiration épuisée, invoque sans cesse les gloires du passé pour cacher les misères du présent et ne conçoit que la timide observation de ce qu’ont fait les grands maîtres, oubliant que les grands maîtres se sont ainsi appelés parce qu’ils ont été créateurs… Laissons donc faire toutes les expériences… Il y a dans notre ciel, dans notre organisation délicate et flexible, dans notre goût si juste et si vrai, assez de vertu pour nous maintenir ce que nous sommes. »

Ce qui rendait la tache de Dubois des plus difficiles, c’est que par une singulière rencontre les partis changeaient de rôle suivant qu’il s’agissait de littérature ou de politique. Il eût semblé assez naturel que les libéraux en politique le fussent aussi en littérature, et que les conservateurs en littérature le fussent également dans l’ordre social, C’est le contraire qui avait lieu. Les libéraux étaient en général les classiques, et l’école romantique se recrutait surtout parmi les royalistes et les croyans. Cette contradiction, étrange en apparence, n’était que la conséquence des événemens. Les libéraux étaient les fils de la révolution et du XVIIIe siècle. Ils en avaient les principes politiques et philosophiques : il était naturel qu’ils en eussent les croyances littéraires. La révolution, par son admiration même de