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En 1824, en effet, à l’époque où paraissait le premier numéro du Globe, deux grandes écoles littéraires se partageaient l’opinion publique et s’y livraient l’une à l’autre des combats acharnés. C’est l’époque de la grande querelle des classiques et des romantiques. Les premiers prétendaient conserver intactes les formes littéraires transmises par le XVIIe et le XVIIIe siècle, et attachaient une importance exagérée à certaines conventions secondaires qui n’avaient sans doute nui en rien au génie de nos grands poètes, mais qui n’étaient pas la source de leurs beautés : une certaine élégance froide, une noblesse conventionnelle, une monotonie déclamatoire, se confondaient pour cette école avec le style obligatoire de la tragédie. Sans doute l’absence de génie était la principale cause de la froideur de ses œuvres ; mais il faut convenir que les moules étaient usés, que les types se reproduisaient sans cesse en s’effaçant de plus en plus, que l’art devenait tout machinal, enfin que le creux et le vide se faisaient partout sentir malgré le mérite plus ou moins distingué des écrivains et le génie des comédiens, — car, par une rencontre malheureuse, le plus grand de nos acteurs tragiques se trouvait là juste au moment de la décadence et de la mort de la tragédie.

Ce qui manquait le plus à cette poésie traditionnelle et froidement imitatrice, c’était la poésie même. De quelque manière que l’on juge la révolution littéraire qui alors brisa les vieilles règles, ce qu’on doit lui accorder, ce qui sera toujours à son honneur, c’est qu’elle a ramené en France la poésie. C’était la poésie elle-même qui paraissait une audace révolutionnaire à des esprits distingués, mais froids, qui n’avaient appris la littérature qu’à l’école du XVIIIe siècle et de Voltaire, comme un art mondain et poli, fait pour occuper agréablement les loisirs d’une société raffinée, et non comme une partie de la vie même, comme un besoin de l’âme, comme l’expression et la satisfaction des facultés de l’âme les plus délicates et les plus profondes. Aussi, malgré les fautes que le goût peut justement reprocher à la poésie de ce temps, on peut dire qu’elle était relativement une sorte de retour à la vérité classique, par le sentiment même imparfaitement satisfait de la grande poésie. Dans la critique littéraire, si l’on veut se rendre compte de ce que l’on doit à la nouvelle école pour le retour au vrai goût, que l’on se souvienne des jugemens que les critiques de l’école classique portaient alors, non-seulement sur les littératures étrangères, sur Shakspeare et sur Goethe, mais encore sur les tragiques grecs, que La Harpe croyait très surpassés par Voltaire, sur les Sermons de Bossuet que le même écrivain jugeait médiocres[1], sur les Pensées de

  1. Le critique Dussault, le type des classiques étroits, écrivait aussi : « Il faut le dire, les sermons de Bossuet sont des ouvrages de mauvais goût. » (Annales littéraires t. IV, p. 441.)