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communauté est le meilleur pour une distribution équitable des terres, et que ses avantages compensent ses inconvéniens.

La thèse principale que j’ai tâché de soutenir dans mon ouvrage, c’est tout juste celle que M. Leroy-Beaulieu attribue à M. de Laveleye, que « sans propriété l’homme n’est pas libre et n’est socialement qu’un serf. » Si ce principe peut paraître trop absolu dans les contrées très peuplées et privées de colonies, il l’est beaucoup moins en Russie, et, sans prétendre que tous les hommes soient propriétaires, il est d’une sage politique d’assurer au plus grand nombre possible des habitans du pays le droit de propriété, que nous considérons, avec M. de Laveleye, comme « le complément essentiel de la liberté. » Prince A. Vassiltchikof.

Saint-Pétersbourg, 44/26 mars 1879.


RÉPONSE DE M. ANATOLE LEROY-BEAULIEU.


Monsieur le directeur,

Le prince A. Vassiltchikof fait à ma récente étude sur le socialisme agraire et le régime de la propriété des objections de détail sous lesquelles disparaît presque entièrement le fond de la thèse que je me suis fait un devoir de combattre. Je pourrais ajouter beaucoup à ce que j’ai écrit sur ce grand sujet ; je regrette de n’y pouvoir rien corriger. Pour toute réplique au noble et savant auteur, je me bornerai à préciser le point capital du débat, à rappeler sur quoi porte essentiellement le différend entre le prince Vassiltchikof et nous, ou pour mieux dire entre les écrivains russes d’une certaine école et la science occidentale par eux condamnée.

Ce que nous ne saurions admettre, c’est que la propriété individuelle et héréditaire aboutisse partout et toujours, en France comme en Angleterre, à l’expropriation du peuple et au monopole territorial et financier d’une oligarchie aristocratique ou bourgeoise ; — c’est qu’en dépouillant les masses villageoises et en les expulsant des campagnes, la libre propriété personnelle condamne irrévocablement les états les plus florissans de l’Occident aux luttes de classes et aux révolutions ; — c’est en un mot que notre régime agraire soit la principale cause de toutes nos crises politiques ou nos difficultés sociales, et que, grâce à la liberté économique, nous soyons voués à une irrémédiable décadence.

Or ce sont là les vues qui dominent tout l’ouvrage du prince Vassiltchikof, elles y sont exposées dans des centaines de pages, elles en forment le fond et le lien. C’est contre ces théories renouvelées du socialisme cosmopolite et non contre tel ou tel point de vue accessoire que nous croyons devoir protester. Ce que nous avons défendu ici, c’est la science européenne, c’est la société et la civilisation modernes attaquées dans leurs principes mêmes.

Certes, nous sommes des premiers à proclamer les immenses