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de Ruy Blas. Seulement, il se trouve que cette loi n’est rien moins que la négation formelle du drame, puisque dans toutes les littératures il n’y a d’œuvres dramatiques, au sens universellement consacré du mot, que celles qui sont le spectacle d’une lutte de la volonté de l’homme contre les circonstances. Si vous conformez les résolutions aux circonstances, vous faites un roman, mais non pas une œuvre de théâtre.

Peut-être qu’après tout, en imaginant Tragaldabas, M. Vacquerie n’a voulu que s’égayer aux dépens du public ; le public le lui a bien rendu : partant quittes. Son œuvre capitale, où sans doute on rencontre encore le mot pour rire, mais cette fois sans que la volonté de l’auteur soit complice de la gaîté des rieurs, c’est le drame soi-disant espagnol des Funérailles de l’honneur.

Toujours fidèle à son maître, j’imagine que M. Vacquerie relisait un jour le Roi s’amuse quand il aperçut ces trois vers, dans l’apostrophe de M. de Saint-Vallier :

Croyez-vous qu’un chrétien, un comte, un gentilhomme
Soit moins décapité, répondez, mon seigneur,
Quand au lieu de la tête il lui manque l’honneur ?


Or d’un décapité de la tête que fait-on ? On l’enterre. Et d’un décapité de l’honneur ? pourquoi ne l’enterrerait-on pas ? Écoutez bien ceci, je vous prie : comme disait Sganarelle. Justement il y avait dans le répertoire de M. Victor Hugo quelques cercueils, celui de Lucrèce Borgia par exemple, dont le maître n’avait pas tiré tous les effets dramatiques possibles. Et ce fut là-dessus que M. Vacquerie composa les Funérailles de l’honneur. Donc, au temps de Pèdre le Cruel un certain don Jorge de Lara, « riche-homme » et « capitaine-grand, » revenant de guerroyer et de vaincre en Aragon, découvrit que sa mère était la maîtresse du roi. L’honneur des Lara crie vengeance, don Jorge résout de frapper le roi, sa mère trahit le complot et don Pèdre le fait manquer. En vrai roi, don Pèdre pardonne. Vous comprenez l’embarras de don Jorge. Qu’eussiez-vous fait à sa place, ainsi pris entre le devoir et la reconnaissance ? Lui, commande un cercueil, on met dedans l’honneur de don Jorge, « quoique ce ne fût pas l’usage, » des moines entonnent un Requiem, les cloches sonnent et l’on descend un cercueil plein « d’honneur, » de « panaches » et de « rayons » dans le caveau des Lara. Et don Jorge ? Je pense qu’il continua de vivre. Il avait célébré les funérailles de son honneur. « Le commun, disait la préface de Cromwell, est le défaut des poètes à courte vue et à courte haleine. » M. Vacquerie certainement a la vue longue et longue l’haleine. Oserai-je faire observer toutefois qu’il y a deux manières de n’être pas commun ? la bonne et la mauvaise : la bonne, qui est de voir dans les choses d’observation en quelque sorte universelle et familière ce que