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une sorte de magistrature interlope que le gouvernement tenait à sa discrétion par l’espoir d’une investiture définitive. Ces auditeurs, d’après l’ordonnance royale, ne pouvaient siéger que dans les tribunaux composés de plus de trois membres, mais on en multiplia tellement le nombre que dans quelques villes, entre autres à Saint-Étienne, ils composaient seuls tout le personnel. La révolution de juillet les fit disparaître parce qu’elle n’y voyait qu’une contrefaçon de magistrats inutile et dangereuse.

Depuis 1830, malgré toutes les secousses politiques qui ont ébranlé le sol de la France, malgré toutes les révolutions qui ont fait passer le pouvoir aux mains les plus diverses, le principe de l’inamovibilité a toujours été respecté, et si l’expérience des siècles n’est pas un vain mot, il n’en est pas un seul auquel le sentiment des générations qui se sont succédé sur cette terre, les jurisconsultes et les penseurs les plus éminens, aient donné une adhésion plus unanime et plus formelle. Ce qu’il a fallu de temps, d’efforts, de luttes sans cesse renouvelées, pour le faire pénétrer dans nos lois, les pages qui précèdent le démontrent surabondamment. Chaque fois qu’une atteinte a été portée sous l’ancien régime à l’indépendance des juges par les subterfuges du fisc et du pouvoir absolu, la conscience publique s’est révoltée ; chaque fois que leur nomination, dans les temps modernes, a été livrée au hasard du système électif et du renouvellement périodique, la justice n’a été qu’un instrument aveugle, parce qu’elle n’était pas éclairée par cette grande science du droit qui ne peut être approfondie que par de fortes études et une longue pratique. Les magistrats, gardiens des lois, ne peuvent les appliquer et les faire respecter qu’à la condition d’être placés par ces lois elles-mêmes au-dessus des vicissitudes de la politique, de n’avoir rien à craindre du pouvoir, rien à attendre de la faveur populaire ; les partis, quel que soit leur drapeau, sont également exigeans, également exclusifs, et ai on voulait les en croire, au moindre arrêt qui n’est point conforme à leurs désirs, il faudrait révoquer les hommes qui l’ont rendu. Où arriverait-on avec un pareil système, surtout chez un peuple explosible comme le nôtre ? Les garanties qui couvrent le juge couvrent aussi les justiciables, et c’est pour avoir oublié cette belle maxime de Montesquieu : « La liberté n’est que la sécurité pour tous, » que nous avons tant de fois compromis la cause sacrée de la liberté par la violence et l’arbitraire.


CH. LOUANDRE.