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condamna sans appel et sans preuves. La convention, qui pourtant a fait de si grandes choses, ne voyait pas qu’en supprimant les formes, en foulant aux pieds toutes les garanties, elle ne faisait que rétablir sous un autre nom les commissaires investis de pleins pouvoirs, la grande prévôté de France, les juges de tyrannie de Richelieu, et tous les attentats extra-judiciaires de l’ancien régime que l’histoire a flétris avec une légitime indignation. Le directoire rétablit les formes protectrices de la procédure, il réduisit le nombre des tribunaux à un seul par département, et en revint à la loi du 24 août 1790, c’est-à-dire à l’élection tous les cinq ans. La même cause produisit encore les mêmes effets ; détermines le plus souvent par la politique seule, les choix s’égaraient sur des hommes incapables de remplir leur difficile mission, et si la vie et la liberté des citoyens n’étaient plus comme sous la terreur à la merci d’un odieux arbitraire, leurs intérêts civils se trouvaient sérieusement compromis. L’opinion publique, désabusée par l’expérience, appelait une réforme, lorsque la constitution de l’an VIII vint tout changer pour la quatrième fois depuis dix ans. Elle donna la nomination à vie des juges au pouvoir exécutif, qui choisit ses hommes sur une liste formée par la dixième partie du corps électoral. Mais, dans la pensée du législateur, la nomination à vie n’impliquait pas l’inamovibilité. Les instincts despotiques du premier consul ne pouvaient s’accorder avec l’indépendance absolue des magistrats ; le 12 octobre 1807 parut un décret qui leur imposait le surnumérariat de la servilité, et suivant lequel ils ne pouvaient être pourvus de provisions à vie qu’après cinq ans d’exercice, si « à l’expiration de ce délai sa majesté reconnaissait qu’ils méritaient d’être maintenus dans leur place. »

La restauration voulut se montrer en apparence plus libérale que la révolution et les pouvoirs qui en étaient issus. Elle inscrivit dans la charte le principe de l’inamovibilité, mais comme elle déclarait en même temps, dans le même pacte organique, que toute justice émane du roi, elle institua à côté des tribunaux ordinaires des cours prévôtales qui jugèrent sans appel et avec rétroactivité les faits qui pouvaient porter atteinte à la sûreté publique. Ces cours siégèrent de 1815 à 1817 et se déshonorèrent en se faisant les instrumens aveugles des réactions et des vengeances politiques. Malgré la pression dont elle était l’objet, la magistrature de la restauration donna plus d’une preuve d’indépendance. Au pouvoir qui lui demandait des services, elle répondit par un mot resté célèbre : qu’elle ne rendait que des arrêts, et comme elle avait fini par devenir gênante, Louis XVIII, par ordonnance du 23 décembre 1823, institua à côté des juges inamovibles, sous le nom de juges auditeurs,